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de service, me proposant à la fois sa table et son logement. Je le remerciai, mais je fus touché d’une politesse qui contrastait si étrangement avec les procédés du capitaine Cotgrave. Je crois bien que cet accueil et ces égards avaient été un peu provoqués par une recommandation du chef du Transport-Office, M. George Ruppert, à qui M. Otto avait bien voulu écrire en ma faveur à la sollicitation de mon frère. Quoi qu’il en soit, je trouvai chez M. Bennet les meilleures dispositions. Il se souvenait qu’à une autre époque mon frère, tombé, lui aussi, entre les mains des Anglais, avait été pendant vingt-sept mois commis à sa surveillance. Il m’entretenait des souvenirs que son prisonnier lui avait laissés, et je lui savais gré de la complaisance avec laquelle il s’étendait sur ce sujet. Il est si doux d’entendre faire l’éloge de ceux qu’on aime ! Néanmoins je ne me consolais pas de ma captivité, et je me demandais souvent quand j’en verrais le terme.

Cette incertitude avait quelque chose de si pénible, que je me décidai à écrire à M. Ruppert pour le remercier de l’appui qu’il avait bien voulu m’accorder et lui exprimer mon vif désir de rentrer en France. Je comptais peu sur le succès de cette démarche. À mon grand étonnement, peu de jours après l’envoi de ma lettre, je reçus une réponse très polie et bien plus favorable que je n’aurais osé l’espérer. On me proposait de m’expédier pour Paris avec un projet de cartel d’échange. La seule condition qu’on m’imposât était de ne pas prendre de service avant qu’un officier anglais de mon grade eût été libéré par la France. Dans le cas où cette condition n’aurait pas l’agrément de mon gouvernement, je promettais de revenir me constituer prisonnier en Angleterre. J’acceptai cette mission avec les engagemens qu’on réclamait de moi, et je partis immédiatement pour Londres. M. Ruppert m’y reçut avec toutes les démonstrations d’une extrême bienveillance, et quelques heures après je foulais le sol chéri loin duquel la vie eût été pour moi un supplice.

Je n’étais point par malheur au bout de mes épreuves. Je me retrouvais en France, il est vrai, mais j’avais à obtenir mon échange, et je ne pouvais compter, pour la prompte conclusion de cette affaire, sur beaucoup d’empressement de la part du ministre Decrès. Un rapport fut cependant soumis au premier consul, qui mit au bas l’annotation suivante : envoyer un colonel hanovrien. Le gouvernement anglais se refusant à reconnaître les prisonniers hanovriens comme sujets britanniques, il fallut proposer au chef de l’état un nouvel échange. Le colonel Vigoureux sollicitait l’autorisation de se rendre en Angleterre pour y subir l’amputation d’une jambe : le premier consul, en accédant à sa demande, le désigna pour me remplacer ; mais les Anglais s’empressèrent de faire connaître que cet