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des Chaumelles, s’être trop préoccupé des procédés d’un romancier qui l’a précédé dans un sujet analogue, Honoré de Balzac. Il a voulu joindre en même temps aux sombres et dramatiques épisodes qui l’ont séduit les délicates, douces et parfois trop indulgentes inspirations d’un autre écrivain qui a déployé peut-être dans la peinture de la vie des champs les plus remarquables combinaisons de son talent d’artiste et de sa nature féminine. Qu’est-il résulté de ce mélange.où l’auteur n’a pas médiocrement perdu de sa personnalité ? Un drame qui, malgré d’appréciables qualités de chaleur et d’intérêt, manque souverainement d’unité, et se rompt çà et là pour laisser place aux scènes d’un double amour, l’un naïf et tendre, l’autre presque furieux, mais tous deux assez faux dans leur expression. Lucette, l’ange de la maison, a des sentimens, je ne dirai pas trop élevés, mais trop subtils. Pour Mélie, M. Goudall la fait se tordre et se rouler, « comme une panthère lascive, » aux genoux d’un paysan ; on peut juger de la vérité de ce caractère, et surtout des procédés familiers à l’auteur.

M. Eugène Muller, dans la Mionette[1], se rapproche davantage de Mme Sand. C’est une simple histoire, simplement racontée, et qui témoigne de sérieux efforts. La Mionette est une enfant dont la famille, — on les appelle les Vipériaux, — mène une existence assez aventureuse, « Leur profession proprement dite était d’être pauvres. » La Mionette est née dans ce nid de vipères, et, malgré les aventures que peuvent lui attirer sa jeunesse, sa beauté, sa vie vagabonde et surtout les mauvais exemples de sa famille (n’a-t-elle pas sa sœur, une sorte de Pulchérie villageoise, qui vient un beau jour au village étaler le luxe de l’amour vénal ?), la Mionette, dis-je, reste pure, soutenue qu’elle est par un amour qui la possède sans qu’elle se livre à lui. L’histoire de cet amour naïf et chaste, partagé de la même façon par un jeune laboureur qui n’ose lever les yeux sur la Mionette que lorsqu’il la rencontre hors du village, laisse une impression fraîche et pénétrante. C’est même l’unique soutien de ce roman, qui, pour une pastorale, est rempli d’épisodes assez peu naturels, où le défaut de la composition est évident. L’auteur est obligé par exemple de faire mourir, pour les besoins de son dénoûment, cinq ou six personnes qui ne demanderaient qu’à se bien porter. Après quelques péripéties un peu forcées, et que l’auteur aurait dû éviter, cette histoire se termine comme tous les contes de la veillée, quand par hasard les revenans ne sont pas de la partie : ils furent heureux, et… tout s’arrête là ; le bonheur ne se raconte pas. Le principal défaut de cette petite Mionette, c’est d’être trop ingénue : il y a de ces choses que connaissent et que comprennent toutes les filles, surtout celles qui sont élevées chez les Vipériaux. Cette atmosphère trop délicate pour ne pas être troublée par le moindre souffle tient à l’amour particulier que portent certains auteurs à leurs héroïnes rustiques. Mme Sand a donné l’exemple de cette prédilection jalouse, et nécessairement ses imitateurs ont exagéré cette tendance ; ils font leurs Fadettes toutes semblables à ces bergères que jadis épousaient les rois, et qui ne devaient certes mériter cet excès d’honneur que par un excès de vertu. Cependant il est un point plus important sur lequel la critique

  1. 1 vol. in-12, Taride, rue de Marengo.