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— Ah ça, l’Allemand, dit le jeune garçon en contrefaisant l’accent de l’étranger, qu’est-ce que tu baragouines là? Le diable a éventré hier Simonet d’un coup de cornes?

— Qui te parle du diable, mauvais bouèbe que tu es? répondit l’armailli tout à fait en colère, je te parle de Fritz, moi,

Tony allait répliquer à son tour quand un premier coup de tonnerre, dont fut ébranlée toute la montagne, éclata sur leurs têtes. A ce bruit, un puissant taureau, court, ramassé, presque entièrement noir, et qui n’était autre que le Fritz de l’armailli, sortit d’un massif de coudriers, à quelques pas des deux jeunes gens. L’animal marchait lentement, la tête basse, flairant l’herbe, déjà arrosée par quelques gouttes de pluie; de temps en temps il relevait ses larges naseaux, et semblait prendre plaisir à humer la tempête. A peine eut-il aperçu les deux compagnons, que, poussant un bref mugissement, il les chargea avec fureur. Ferréol n’ignorait pas combien sont périlleuses, surtout aux heures d’orage, les rencontres avec ces terribles animaux, qui, vivant presque à l’état sauvage, acquièrent une force et une agilité bien supérieures à celles du taureau domestique, déjà si redoutable cependant; il regagna prudemment le bois, sans toutefois trop hâter le pas. Le taureau se tourna alors contre Tony, qui fit mine de vouloir l’attendre de pied ferme en agitant son mouchoir pour l’exciter encore; puis, au moment où l’animal furieux baissait déjà la tête pour lancer son coup de cornes, le jeune garçon se jeta vivement de côté en faisant à son adversaire un de ces gestes de mépris dont n’ont pas seuls le secret les gamins des villes. Quoique Ferréol se fût bien promis de tancer vertement le téméraire enfant dès que celui-ci l’aurait rejoint, l’heure était assez peu propice aux remontrances. La tempête était dans toute sa fureur; les épicéas gigantesques oscillaient comme des joncs battus par le vent. Le tonnerre grondait sans relâche; des éclats de bois hachés par la foudre tombaient de tous les côtés autour d’eux. Heureusement Ferréol connaissait à peu de distance une grotte, où se cachaient quelquefois les contrebandiers; les deux jeunes gens y arrivèrent sains et saufs, mais non moins mouillés que le jour où Ferréol s’était jeté dans l’Ain pour en retirer Tony.

Nos voyageurs étaient à l’abri depuis quelques instans, lorsque Ferréol crut entendre un léger bruit vers le fond de la grotte. Tout en continuant de parler à Tony, il dirigea de ce côté ses yeux perçans, et malgré l’obscurité, qui était grande dans l’enfoncement, il finit par apercevoir le bout d’un soulier et un panier posé à côté. — Pour le coup, se dit-il, je ne me trompe pas, c’est bien cette vieille sorcière de Piroulaz. — Il acheva tranquillement ce qu’il avait commencé de dire, puis, s’adressant à Tony : — Voyons, petit, dit-il, tu