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auront laissé derrière eux. Les sciences modernes leur réservent un merveilleux d’un genre nouveau ; la réalité, transformée par leurs découvertes, suffira à la plus exigeante imagination. Le positif et l’utile auront leur beauté à leur tour. Le grain de mil que le coq aura détourné deviendra le diamant. Si le culte des grands hommes est passé, l’humanité devient l’héroïne du poème. Si le passé avait la croyance, l’avenir aura la certitude. Dès aujourd’hui ils sont sûrs de leur fait, ils savent qu’ils sont dans le bon chemin ; les nuages s’ouvrent, et le monde vient à eux.

Telle est la stérilité, la monotonie, tel est le danger de ce découragement d’esprit qui ne sait ni sauver ce qu’il regrette ni empêcher ce qu’il craint, qu’on se sent attiré vers ceux qui, au risque de se faire accuser de raideur et de sécheresse, parlent encore le langage de la conviction et de l’espérance. Si, comme l’a pensé un grand esprit de nos jours, le monde appartient aux optimistes, c’est plutôt vers ceux-ci que les signes du temps devraient nous appeler. On en trouve aujourd’hui peut-être plus à l’étranger qu’en France de ces publicistes intrépides qui ne croient qu’au triomphe de la raison. En Angleterre par exemple, la littérature est assez riche en écrits dictés par un esprit qui serait parmi nous traité de chimériquement démocratique, et qui n’est que systématiquement dominé par la foi dans l’observation et le raisonnement. Là le réformisme peut devenir radical sans devenir révolutionnaire. L’économie politique est la commune philosophie des Anglais. Par ses résultats comme par ses méthodes, elle s’est emparée de certaines intelligences, fortes d’ailleurs et puissantes, qui en font le type de toute science, qui éclairent et contrôlent tout par elle, la politique et la morale même. Il y a beaucoup à gagner dans leur commerce, et si l’on peut les trouver étroits dans la spéculation, ils n’en seront pas moins aptes à la pratique, et leurs œuvres pourraient bien relever leurs théories. Le génie britannique nous a habitués à voir ces choses-là.

C’est de cette école que paraît être sorti le premier ouvrage, je crois, d’un auteur jeune encore, et qui n’était d’aucune école. L’Histoire de la Civilisation en Angleterre, dont l’introduction vient de paraître dans les dimensions d’un gros livre, a mis dans toutes les bouches, au commencement de cette année, le nom jusque-là ignoré de M. Buckle. C’est un véritable succès, quoique l’ouvrage ait plus réussi qu’il n’a été approuvé. Les critiques ne lui ont pas plus manqué que les lecteurs ; mais ceux-ci n’ont pas regretté leur peine, et y ont peut-être pris plus de plaisir qu’ils ne s’en sont vantés, car l’auteur s’adresse à des opinions qui courent dans bien des têtes sans toujours s’y fixer, et qui ne demandent que des raisons plausibles et sérieusement articulées pour prendre confiance et