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la pensée de la foule, une femme dont le mari était parmi les prisonniers.

— La Jeanne-Claude a bien raison, répondit un autre ; c’est lui qui a tout organisé. D’ailleurs, avant son arrivée à Mouthe, on ne parlait presque plus de contrebande dans le pays.

En ce moment arriva une jeune femme, tenant un enfant sur ses bras et en conduisant un autre par la main. Après avoir demandé en vain, elle aussi, à voir son mari, elle s’avança sous la fenêtre de Ferréol, et d’une voix déchirante se mit à apostropher le jeune homme. L’émotion gagna tous les assistans. Quelques amis de Ferréol essayèrent de ! e défendre ; devant l’indignation générale, ils durent y renoncer. La foule se dispersa enfin. Pour qui a durement travaillé dès l’angelus du matin, il n’est ni curiosité ni passion qui tienne devant le besoin de sommeil. Une heure plus tard, tout était rentré dans le silence autour de la maison de douane. Ferréol repassa alors avec amertume dans son esprit tout ce qu’il avait éprouvé de déboires et d’humiliations dans cette journée fatale. Les gabelous l’avaient pris, ils avaient pris son convoi. Non contente de le dénoncer, Rosalie l’avait cruellement trahi dans son amour. Dépopularisé près de ces mêmes villageois dont la veille encore il était l’idole, il se voyait en outre ruiné de fond en comble dans ce qu’il appelait son industrie. Si le courage proprement dit était toujours inséparable de la constance à supporter les revers, certes il eût fait de gaieté de cœur tête à l’orage ; mais sa force morale était bien loin d’égaler son audace de jeune homme. Le peu qu’il en avait se brisa sous ces chocs redoublés, et il demeura abattu, anéanti. Au bout d’une heure, il était encore dans cet état, refusant de répondre à Tony, refusant de toucher au repas qu’on venait de lui apporter, quand des voix bien connues de lui se firent entendre dans l’escalier. Le jeune homme eût voulu pouvoir disparaître sous terre pour cacher sa honte.

La nouvelle du désastre des contrebandiers était promptement arrivée à Gilois ; deux heures après l’événement, Thérèse en était instruite. La pauvre fille avait aussitôt couru tout en larmes au presbytère, et, entraînant avec elle l’abbé Nicod, qu’elle pria vingt fois de parler avec douceur aux deux jeunes gens, elle était partie immédiatement pour Mouthe. Malgré ses promesses à Thérèse, l’honnête abbé allait probablement débuter par sermonner son neveu ; celui-ci prit les devans. — Épargnez-moi les reproches, mon oncle, dit-il, osant à peine lever les yeux. Je vous ai cent fois désobéi, j’ai été bien ingrat envers vous, je le sais, j’en conviens ; mais depuis quelques heures, mon oncle, j’ai été puni assez cruellement. Je ne souhaiterais pas un pareil supplice à mon plus mortel ennemi.