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d’or, et non à labourer le sol, et aussi parce que le nombre des bras n’est pas en rapport avec les besoins de l’agriculture.

« Si ce discours a quelque raison en soi, je sais qu’il sera écouté d’une oreille attentive et la tête penchée sur une épaule. J’espère anxieusement que le gouverneur de cette ville et de toutes les villes et terres environnantes daignera réfléchir un peu sur mes paroles, dans l’espérance de quoi, et avec une profonde humilité de cœur et le cérémonial d’usage, nous attendons en silence une réponse couleur de vermillon. »


Le Chinois gagna sa cause, et son plaidoyer, rempli de tant d’art et de finesse, méritait bien ce succès. La chambre de commerce de Melbourne déclara que, dans son opinion, il était contraire à l’esprit de notre âge, opposé aux intérêts de la colonie et aux traités avec la Chine, de voter aucune loi destinée à interdire aux Chinois l’accès de l’Australie. Les régions de l’or demeurèrent donc toutes ouvertes à l’industrieuse activité de cette multitude d’hommes que la misère chassait de chez eux, et qui s’en venaient demander au reste de la terre du travail et un peu de pain; mais, comme en Californie, les Chinois furent à Victoria un objet de haine et d’horreur. Ils avaient beau se faire humbles et petits, ils étaient la cause de tous les préjudices : ils chassaient les blancs de leurs mines. Sans doute ils ne s’y prenaient pas par la force, mais ils absorbaient une énorme quantité d’eau pour leurs opérations, et d’ailleurs qui pourrait tenir à la puanteur et à la saleté de leur voisinage? Il est bien vrai qu’ils ne se permettent pas d’exploiter de nouveaux placers et qu’ils se contentent de relaver des mines abandonnées; mais ne voyez-vous pas qu’ils enlèvent ainsi aux colons la ressource de revenir eux-mêmes plus tard à ces mines? Et de plus, quel dépit si le Chinaman fait sa petite fortune et récolte quelque riche butin dans le lieu creusé par le blanc et délaissé par lui comme stérile!

L’animosité des deux races se traduisit en rixes fréquentes. Voici John Bull et John Chinaman devant la cour de justice; ils veulent parler ensemble, et c’est en vain que le juge fait un appel aux nobles sentimens qui doivent animer quiconque vit sur une terre anglaise; il a grand’peine à débrouiller le fil embarrassé de la cause. John Bull atteste que, passant sur le soir à travers le quartier chinois avec un ami qui s’était permis un extra, et qui en conséquence allait un peu la tête en poupe, ils ont été assaillis par A’hin, par A’chin et par une douzaine d’autres, accablés d’injures et de coups jusqu’à craindre pour leur vie. Par bonheur, l’extra n’avait pas affaibli les poings de John Bull, et il a pu mettre l’adversaire en fuite. Quand c’est au tour du Chinois de témoigner, il s’agit d’abord de lui faire prêter serment, et ce n’est pas une petite affaire. Quelquefois il affirme qu’il est chrétien, et son conseil garantit qu’il connaît la valeur du serment; mais quand cela n’est pas bien démontré,