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livra, durant deux mois, à toute sorte de violences et de cruautés. Ismaël-Beg lui-même, épouvanté des atrocités de Gholam, abandonna la cause de la révolte et se réunit aux Mahrattes : si la domination de ceux-ci avait été oppressive à l’égard des Mogols, jamais au moins ils ne s’étaient rendus odieux aux yeux des nations par des crimes semblables.

Dans sa détresse, Madha-Dji-Sindyah avait poussé un cri d’appel vers Pounah et demandé des secours à Nana-Farnéwiz, au nom des plus chers intérêts de la nation mahratte. Celui-ci, toujours inquiété par la turbulence de Tippou-Saheb et peu désireux de contribuer à l’accroissement de Sindyah, ne se décida point tout d’un coup. Après quelques hésitations, il envoya dans l’Hindostan deux corps d’armée, le premier commandé par Ali-Bahadour, — fils naturel du premier peshwa Badji-Rao, déchu de sa caste comme étant né d’une mère musulmane et élevé dans l’islamisme, — le second aux ordres de Touka-Dji. Holkar et Sindyah allaient donc se retrouver sur le même terrain après une longue séparation, mais pour se diviser bientôt et se disputer, les armes à la main, une partie de l’héritage conquis par les chefs des deux familles.

L’armée mahratte fut reçue à Dehli avec des cris de joie. L’ancien porteur d’eau, Rannay-Khan, y rétablit l’ordre et se comporta avec autant de sagesse que d’humanité. Gholam-Kader, réduit à fuir, ne tarda pas à être pris; il périt dans les supplices. Dès que Madha-Dji-Sindyah fut arrivé dans la capitale, Shah-Alam II, tant de fois menacé et outragé par ses propres sujets rebelles, privé de ses yeux, que Gholam-Kader avait percés avec la pointe de son poignard, remonta sur le trône, plus incapable que jamais de gouverner ses états.

Les provinces d’Agra et de Dehli faisaient partie désormais des territoires soumis à l’empire des Mahrattes, ainsi que la plupart des districts compris dans le Doab; mais Sindyah occupait pour son compte des pays que d’autres familles revendiquaient comme leur appartenant par droit de conquête ancienne. Nana-Farnéwiz n’avait envoyé Ali-Bahadour et Touka-Dji-Holkar au secours de Madha-Dji qu’à la condition que celui-ci partageât également avec eux les territoires situés au nord de la rivière Tchambal, dans le Malwa. Ni l’un ni l’autre de ces deux chefs ne se montrait disposé à aider Madha-Dji dans ses projets particuliers[1], et Touka-Dji-Holkar

  1. Lorsque lord Cornwallis négociait une alliance avec les Mahrattes contre Tippou-Saheb, il chargea le major Palmer, résident anglais auprès de Sindyah, d’engager ce dernier et Holkar à user de leur influence à la cour de Pounah pour la décider à cet arrangement. Sindyah promit son concours, mais à la condition qu’on lui prêtât deux bataillons pareils à ceux qui avaient été mis à la disposition du nabab d’Hyderabad par les Anglais, et que le gouvernement britannique se chargeât de la défense de ses états pendant son absence. Ces conditions, jugées inadmissibles, furent rejetées, et Sindyah ne signa point le traité de Pounah. (Voyez History of the Mahrattas, by J. Grant Duff.) Ainsi les Anglais avaient déjà un résident auprès du chef mahratte, qu’ils regardaient comme un prince indépendant, et d’un autre côté ils refusaient de le défendre chez lui tandis qu’il irait s’exposer pour eux à l’extrémité de la presqu’île. Ceci prouve combien était grande la puissance de Sindyah dans l’Hindostan, et combien il importait aux Anglais qu’elle ne se consolidât pas au point de constituer un royaume compacte, dont les troupes aguerries menaceraient tôt ou tard leurs établissemens du Bengale, après avoir arrêté leur marche vers Dehli.