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vécu à un désastre dont on n’avait point voulu rechercher trop minutieusement l’origine; il ne put résister aux plaintes unanimes que soulevèrent des violences et des emportemens dont la marine a gardé la mémoire. On ne savait que faire de ce vice-amiral tombé en disgrâce, car on tenait encore à le ménager : on n’imagina rien de mieux que de lui offrir les quatre vaisseaux mouillés en rade de Lorient. Une lettre ministérielle du 25 avril 1811 m’annonça que cet officier-général allait arborer son pavillon sur le vaisseau même que je montais. C’était là un double désappointement; pendant deux mois, j’eus le courage de dévorer les ennuis inhérens à une position qui n’est supportable qu’avec un officier-général qu’on estime et dont on possède la confiance. Enfin le 15 juin 1811, grâce à l’intervention de l’amiral Ganteaume, j’obtins de quitter ce vaisseau, qui avait si longtemps fait mon orgueil, mais où je ne pouvais plus rester sans me trouver exposé chaque jour à manquer gravement à la discipline. Le capitaine du Marengo passa sur le Borée, et je le remplaçai à bord de son vaisseau. En fait de bâtiment, je n’avais pas gagné au change. Le Borée était un vaisseau de quatre-vingts canons, le Marengo n’était qu’un vaisseau de soixante-quatorze. Le premier était presque neuf, admirablement disposé pour la mer et pour le combat; le second était tellement arqué, que de l’avant on ne voyait pas les genoux d’un homme qui se promenait sur l’arrière; il était si extraordinairement tordu, qu’il donnait la bande à tribord derrière et à bâbord devant. Je ne puis mieux le comparer qu’à ce fameux Redoutable qui coula sur place après le combat de Trafalgar. Le personnel du Marengo heureusement n’était sous aucun rapport inférieur à celui du Borée. Si ce dernier vaisseau, pour composer le fond de son équipage, avait eu les marins de la Créole, le Marengo s’était recruté dans de meilleures conditions encore. La plupart des matelots du Marengo provenaient de cette glorieuse division de frégates qui avait fait trembler les mers de l’Inde jusqu’au moment de la capitulation de l’île de France. Presque tous avaient reçu le baptême du feu; ils étaient habitués à vaincre, et j’étais certain que la vue d’un vaisseau anglais ne leur rappellerait que leurs triomphes passés.

Ces excellens élémens avaient formé, avec l’adjonction de nombreux conscrits, le 24e équipage de haut-bord. L’équipage du Borée composait le 11e, car, il faut bien le remarquer, le système des équipages permanens, souvent modifié dans ses détails, mais toujours respecté dans son principe, a eu son origine sous l’empire. Un jour vint où le grand capitaine auquel on a reproché, non sans raison, d’avoir trop souvent méconnu les nécessités de la guerre maritime les comprit au contraire admirablement : c’est le jour où il cessa de considérer nos forces navales comme un enjeu sacrifié