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du pouvoir civil, devait se trouver sans contre-poids. Aussi, dès le lendemain du triomphe de Rome, un nombreux parti d’hommes effrayés et clairvoyans se prononçait pour l’empire. Pour rétablir l’équilibre, ils en venaient à nier l’infaillibilité pontificale, et, par suite, à soutenir que le pape, soumis aux conciles, doit être déposé quand il manque à sa mission. On ajoutait que le saint-siége, au temporel, devait tout à des empereurs de fait ou de nom, et que par conséquent l’on ne pouvait refuser aux héritiers de Pépin et de Charlemagne le droit d’investiture. Rome rappelait alors la donation de Constantin ; mais les moines de Farfa, établis à ses portes, répondaient en demandant pourquoi elle n’avait allégué jusque-là que la donation de Pépin, et ils prouvaient en réalité qu’après Constantin, les exarques gouvernaient l’Italie au nom des empereurs de Byzance et que les papes leur étaient soumis. Ainsi les argumens changent, mais c’est toujours la même querelle entre les deux grandes puissances du monde au nom de la liberté. Après quarante-cinq ans de cette guerre impitoyable, l’empereur battu n’a plus d’autre ressource que de se faire, lui étranger, le champion de l’indépendance, de la liberté italienne. L’Italie du nord est pour lui, celle du midi pour le pape, appuyé sur la France. Le mouvement social est toujours grand, dit M. Ferrari, et le mouvement politique toujours misérable.

Jusqu’à présent les maîtres seuls ont paru dans l’arène ; le peuple y descend à son tour. Ses consuls relèguent les évêques dans leurs églises ; le pape et l’empereur, un moment conjurés, échouent devant la spontanéité et l’unanimité de ce mouvement. Voilà donc les villes maîtresses d’elles-mêmes ; à proprement parler, il n’y a plus d’autre puissance qu’elles en Italie. Pour rétablir l’inévitable dualisme, elles vont s’entre-déchirer. Alors commence ce prodigieux chaos des guerres municipales, compliqué encore par les vols, les extorsions des grandes routes que font ou favorisent les hobereaux maîtres de la campagne. Rien n’a été plus mal expliqué par les historiens. Le grave Muratori se borne à dire qu’il passa par la tête (saltò in capo) au peuple des villes d’élargir ses confins. Sismondi ne voit point d’autre cause que le voisinage, source naturelle de conflits. M. Ferrari, qui donne une foule d’explications, ne s’aperçoit pas qu’elles peuvent être combattues par l’argument qu’il oppose à Sismondi : dans d’autres pays, les mêmes causes n’ont pas produit les mêmes résultats. Mieux vaudrait peut-être s’en tenir à l’opinion commune et dire que l’absence de tout centre prépondérant auquel ils pussent se rattacher prédisposait les Italiens aux passions municipales, et rendait inintelligible pour eux l’idée d’une grande patrie, qui, même aujourd’hui, a tant de peine à entrer dans leur tête. M. Ferrari a donc bien raison de ne pas voir dans cette fameuse ligue lombarde contre Frédéric Barberousse la première manifestation du principe de nationalité. Barberousse, empereur sans soldats, n’a d’armée que celle des villes pour lesquelles il se déclare ; il n’est qu’un partisan de plus, et n’a contre lui que la ligue des cités guelfes. C’est affaire de parti, non de patriotisme.

Cette lutte des villes entre elles n’empêche point la défaite des seigneurs campagnards. Battus dans leurs châteaux, ils sont réduits à se retirer dans les villes qu’ils n’ont pu vaincre, et ils y deviennent, suivant l’expression assez singulière de M. Ferrari, non pas citoyens, mais concitoyens. Ici nous