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appelle la métaphysique est sa véritable ennemie, jamais plus haïssable à ses yeux que lorsqu’elle s’est mêlée d’affranchir les sociétés humaines et de toucher à la politique. Le réactionnaire le plus intimidé envierait l’énergie avec laquelle il dénonce les graves dangers intellectuels et sociaux qui accompagnent la philosophie métaphysique. Critique, négative, destructive, dissolvante, elle est encore caractérisée dans sa formation normale par une immense aberration morale. Les seules créations un peu durables qu’il lui daigne attribuer, — dans la religion le protestantisme, dans la politique les institutions anglaises, — rencontreraient difficilement, même aujourd’hui, un juge plus sévère que lui. M. de Maistre aurait moins insulté l’un ; les autres ne sortiraient pas traitées plus indignement des mains des Triboniens du pouvoir absolu. Tandis qu’un goût spéculatif pour la dictature conduit Auguste Comte de l’indulgence pour Richelieu au panégyrique de l’énergie morale et de la rectitude mentale de l’éminente assemblée si pleinement immortalisée sous le nom de convention nationale, un mépris philosophique est tout ce qu’obtient la frivole irrationalité des vaines spéculations métaphysiques de la première assemblée, qui, pour avoir par la voix de ses chefs proposé pour but à la révolution française la simple imitation du régime britannique, méritera que sa qualification usuelle semble auprès d’une impartiale postérité le résultat d’une amère ironie philosophique !

Tel est pourtant le réformateur qui obtient aujourd’hui jusqu’en Angleterre une réputation dont s’étonne plus d’un voyageur français. Ce n’est pas qu’Auguste Comte de son vivant n’ait compté, avec d’honorables patrons, d’estimables disciples, et encore aujourd’hui un écrivain qui lui est fort supérieur pour l’instruction et le talent veut bien consacrer les forces d’un éminent esprit à défendre les systèmes de celui à qui il fait, ou peu s’en faut, l’honneur de le nommer son maître. Cependant l’école positive n’a pas atteint parmi nous une publicité égale à celle qu’elle s’est faite en Angleterre, où elle est devenue comme la dernière incarnation de l’école de Bentham. Des sectes économiques, politiques, même religieuses, ont entrepris d’en propager les principes, sans toujours les adopter définitivement. M. Stuart Mill, qui, pour la pénétration, la force, l’originalité de l’esprit, n’est peut-être le second de personne dans son pays, ce philosophe si supérieur à sa philosophie, a paru dans ses écrits tenir Auguste Comte pour un des penseurs qu’il élève à son niveau, et soit qu’il lui défère, soit qu’il lui résiste, il semble le regarder comme le chef d’une des branches de l’école, dont l’autre branche l’aurait lui-même pour chef. Miss Martineau a consacré à la traduction du Cours de Philosophie positive et à l’exposition des