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aux premiers jardins de houblon qui s’élèvent du côté de Crayford. La population locale des femmes et des enfans suffit dans ce village à la nature des travaux, qui sont peu étendus. Il nous faut donc suivre la masse des voyageurs jusqu’aux environs de Maidstone, jolie ville, agréablement située sur la belle rivière Medway, que traverse un pont à plusieurs arches, ancien, mais retouché. Autour de l’église se groupent des restes d’architecture historique. Un débris de l’ancien palais du primat. Primate Palace, construit sous le roi Jean, pend d’un côté du cimetière sur la rivière toujours jeune, malgré les rides que le vent grave et que le courant efface. Là j’ai vu aussi une vieille maison qu’on appelle le château, les ruines du collège de Courtenay et les restes d’un prieuré. Un air calme d’antiquité règne sur cette partie de la ville, qui dans d’autres endroits affecte l’élégance moderne ; mais ce sont surtout les environs qui donnent à Maidstone un caractère pittoresque. Les riches vergers, les taillis, les anciens châteaux, la surface ondulée et boisée des collines, les opulentes cultures, les villages propres et tranquilles, les jardins de houblon avec leurs festons gracieux groupés autour des perches hardies, les vignes qui laissent pendre leurs tresses blondes comme une Anglaise coquette, tout cela forme un type de paysage qui ne se rencontre point ailleurs, et qui explique bien ces mots : l’heureuse. Angleterre, happy England.

Le premier jardin de houblon dans lequel je m’arrêtai, à une lieue de Maidstone, était surveillé par un contre-maître, superintendent of the picking, jeune homme blond, aux bras nus et vigoureux, qui parmi les guirlandes naturelles se tenait fièrement sur le théâtre des travaux, avec des airs de Bacchus saxon. « Un beau temps! me dit-il (c’est toujours par là qu’un Anglais engage la conversation). Vous venez voir le hop-picking. C’est un spectacle auquel on n’assiste pas tous les jours, et qui doit intéresser un étranger, car je reconnais à votre figure et à votre accent que vous êtes Français. Le houblon est le fleuron (gem) de la culture anglaise : une belle plante, mais délicate et capricieuse! Le terrain qui lui convient le mieux est celui-ci : une surface profonde et grasse, avec un sous-sol de marne et de terre à brique. Tout le monde n’est d’ailleurs pas à même de former une plantation : cela exige des dépenses considérables. On évalue les frais de 70 à 100 livres sterling par acre. Et puis cette plante se montre sujette à tant de maladies, elle souffre de tant d’accidens, elle fait payer si cher la moindre négligence, que les rêves d’or de l’agronome s’évanouissent bien souvent en une nuit. Aussi devez-vous regarder comme une erreur l’opinion, généralement répandue dans les livres, qui veut que les fermiers du Kent consacrent tous leurs soins aux houblonnières. Le résultat est trop