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chent point les doigts de courir sur les grappes de fleurs qui tombent effeuillées dans les crèches. Quand ces crèches sont pleines, le maître ou le contre-maître en mesure le contenu, car les pickers ne sont pas gagés à la journée, mais à la tâche, et ils ne reçoivent leur rétribution qu’à la fin de la moisson. Le salaire varie d’une année à l’autre suivant l’abondance et la qualité de la récolte ; le prix ne se fixe que quand les travaux sont commencés et que les propriétaires ont eu le temps de se consulter entre eux. On a donné en 1858 un shilling pour neuf boisseaux de fleurs cueillies. Quelques ouvrières habiles ont gagné jusqu’à une demi-couronne par jour.

La tombée de la nuit suspend les travaux, qui sont repris le lendemain matin, quand les rayons du soleil ont bu le plus fort de la rosée, car une humidité trop abondante déflorerait plus ou moins la qualité du houblon. La nature de ces travaux ne permet point aux ouvriers ni aux ouvrières de s’éloigner du jardin où se fait la récolte. Les groupes de hop-pickers, pour la plupart étrangers à la localité, dorment donc pendant la nuit dans les granges, les hangars, quelquefois même sous des tentes. Je me suis convaincu que la plupart des personnes qui se rendent aux houblonnières sont attirées sans doute par l’appât du gain, mais aussi par le goût de la vie aventureuse et par le désir de voir du pays. Elles s’accommodent volontiers à toutes les exigences de leur état et supportent bravement la couche dure sur laquelle descend le lourd sommeil. On m’a raconté que des femmes du monde, sur l’avis de leur médecin, s’étaient engagées secrètement dans les travaux du hop-picking. Je ne nie point le caractère salubre de cette vie en plein air ni de ces occupations, qui n’ont rien de rebutant, même pour des mains blanches et aristocratiques; mais quand je considère le dur personnel qui travaille dans les grands jardins de houblon, je suis tenté de reléguer ces récits parmi les contes des anciens âges, où les reines se cachaient sous des habits de bergère. Un fait plus certain, c’est que des mariages s’arrangent et s’escomptent quelquefois, il faut le dire, au milieu de cette communauté du jour et de la nuit qu’établit entre les deux sexes la nature des travaux. Une Irlandaise à laquelle on demandait devant moi quel était le père de son enfant répondit, par manière de plaisanterie sans doute : « Il est l’enfant du houblon. »

Quand la fleur des hops est cueillie et mesurée, on la transporte vers les fours en toute hâte pour la faire sécher, car, si on la laissait trop longtemps dans les sacs à l’état vert, elle perdrait de sa couleur et de son parfum. Il n’y a presque pas de ferme dans les districts houblonniers qui n’ait un oast-house, bâtiment construit tout exprès pour le séchage de la récolte. L’étendue de ces bâtimens varie selon l’importance des cultures; mais la forme est toujours à