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le sac qu’on se propose de remplir. Sa fonction est de distribuer et de fouler avec les pieds le houblon qu’un autre homme jette de l’étage supérieur par petites quantités à la fois. On met les belles fleurs blondes dans des sacs plus coquets, connus sous le nom de poches, pockets, et les fleurs brunes dans des sacs grossiers, bags. Les premières sont surtout destinées à brasser de l’ale, et les secondes servent à la fabrication du porter. Cela fait, il ne reste plus qu’à expédier les houblons au marché. Si l’on réfléchit à l’ensemble des préparations que nécessite cette plante, on jugera que tout n’est point bénéfice pour les fermiers. La charge dont ils se plaignent le plus est l’impôt très lourd qui pèse sur les houblonnières[1]. Une association qui tient des meetings, et qui a des échos dans la presse anglaise, s’est formée pour obtenir la suppression de cet impôt. Des démarches officielles ont été faites, et des pétitions adressées par elle au gouvernement. Jusqu’ici, le gouvernement anglais a résisté à ces réclamations, en disant par la bouche de ses ministres que l’intérêt particulier devait fléchir devant l’intérêt général. Cette réponse n’a point découragé les propriétaires de houblon, qui continuent de se réunir et de prononcer des discours dans lesquels ils soutiennent, eux aussi, que leur intérêt particulier s’appuie dans cette question sur l’avantage et le bien-être des classes laborieuses.

Si l’on veut se faire une idée de l’ensemble du hop-harvest, on ne doit d’ailleurs point s’arrêter à un jardin : il faut parcourir la superficie des districts houblonniers. Toute la campagne présente alors un spectacle inusité : les groupes de pickers assis sur l’herbe à l’heure des repas, la confusion des accens et même des langues, les querelles moitié sérieuses, moitié plaisantes, la diversité des costumes, les agaceries des jeunes gens, le rire inextinguible des femmes, les ébats des enfans, les migrations d’un jardin à l’autre, tout cela répand sur cette branche de travail agricole un air de fête qui contraste avec la vie morne des ouvriers dans les manufactures et les fabriques. Le gain n’est pas très considérable; mais la joie, le grand air, la liberté, l’oubli de la veille et l’insouciance du lendemain ajoutent du prix au salaire. A défaut d’or, plus d’une jeune fille ajuste dans ses longs cheveux, avec des airs de bacchante, les fleurs du houblon, qui, rondes et plates, ressemblent à une poignée de sequins espagnols. Il est touchant de voir le bon accord qui règne dans cette famille d’ouvriers, composée d’élémens si mêlés : le fort donne la main au faible; les caractères hargneux ou dépravés s’adoucissent, le vice lui-même se purifie dans le travail, et

  1. On calcule qu’en 1858 les droits prélevés sur les houblons doivent donner à l’état une somme de 500,000 livres sterling.