Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur pied, hommes et chevaux, un escadron de grosse cavalerie. »

Les salaires varient, selon l’ordre et l’importance des ouvriers, depuis une livre jusqu’à trois livres sterling par semaine. On ne sait pas assez ce que cette régularité du paiement hebdomadaire répand d’aisance et de liberté d’esprit dans la classe laborieuse de la Grande-Bretagne. Les marchés, les fournisseurs s’approvisionnent en conséquence le samedi soir, et les divers quartiers de la ville prennent alors un air d’animation singulière. Un tel mode de rétribution assure en même temps à l’ouvrier anglais un joyeux dimanche, et le met à l’abri des excès qu’engendre trop souvent l’affluence venant à la suite d’une longue gêne. Les ouvriers brasseurs reçoivent, outre leur argent, une ration de bière par jour. On attribue généralement la formidable corpulence de ces hommes à l’usage immodéré qu’ils feraient, dit-on, de cette liqueur; mais nous ne saurions partager cette manière de voir, car la limite de boisson imposée par l’établissement est rarement franchie. Ce n’est pas dans les lieux où s’élaborent les moyens de la produire qu’il faut chercher l’ivresse. Cette puissance musculaire est un trait de race. Quelques brasseries de Londres ne tiennent guère compte dans le choix des ouvriers que de la force physique; d’autres au contraire regardent à l’intelligence. Dans ces derniers établissemens, une certaine éducation, très élémentaire d’ailleurs, est plus ou moins exigée. Il y en a même qui ont pris à cœur de développer ces germes de culture morale. On ne voit pas sans intérêt dans une des cours de la brasserie Truman ces mots écrits sur le mur : library. Cette bibliothèque se compose au moins de deux mille volumes, que l’on prête ou loue aux ouvriers pour la légère rétribution d’un demi-penny par semaine. Il suffit de feuilleter ces livres pour se convaincre qu’ils ne sont point oisifs, selon l’expression anglaise, et qu’ils ont circulé à travers beaucoup de mains. On avait autrefois adjoint un cabinet de lecture (reading room) à cette bibliothèque, mais l’expérience ne fut point heureuse: il est facile de comprendre que des hommes qui ont supporté la fatigue du jour ne sont guère disposés à revenir le soir sur le théâtre de leurs travaux. Cette institution demandait d’ailleurs à la vie de famille certains sacrifices que l’ouvrier anglais accorde difficilement, Il aime à lire au coin de son feu, auprès de sa femme et de ses enfans. Son grand jour d’éducation morale est le dimanche : je ne parle pas seulement des instructions qui se font dans les églises protestantes, je parle des journaux hebdomadaires à bon marché et des magazines qui se répandent dès le matin par millions. Un journal français a bien fait rire les Anglais en leur apprenant, il y a quelques mois, que dans leur pays il n’y avait pas de journal pour le peuple; j’en ai compté plus de cent cinquante qui