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les autres vivans. Parmi ces enseignes, qui florissent principalement sur les grandes routes, il en est de pure fantaisie; il en est d’autres qui ont un caractère historique, et dont l’origine a fort exercé l’érudition des archéologues littéraires.

La célébrité des enseignes date d’une époque où l’on ne connaissait point l’usage de numéroter les maisons; mais ce qu’il y a de particulier à l’histoire d’Angleterre, c’est que ces sortes d’armoiries marchandes ont figuré sur des médailles de cuivre, de plomb ou d’étain, frappées par les boutiquiers eux-mêmes et ayant une valeur monétaire. Ces pièces d’un farthing ou d’un half-penny répondaient à deux intentions : elles servaient d’annonce courante à la maison dont elles portaient l’enseigne, et elles fournissaient aux pratiques le moyen de changer les pièces d’or ou d’argent dans un temps où la petite monnaie était excessivement rare[1]. Les plus intéressans parmi ces anciens sous ou ces anciens liards sont ceux que lancèrent dans la circulation les vieilles tavernes de Londres, de 1648 à 1672. Là se retrouvent, en manière d’effigie, les enseignes de plusieurs de ces tavernes qui existent encore, par exemple le fameux Coq, près de Temple-Bar, un luxueux volatile, qui, s’il faut en croire la tradition, buvait du vin dans un vase d’argent et mangeait de l’orge dorée ni plus ni moins que le cheval de Caligula. Quelques anecdotes se rattachent à ces coins et à ces enseignes. On raconte qu’un cockney se trouvait à bord d’un vaisseau qui doublait les côtes de l’Angleterre durant une tempête; le malheureux, en proie au mal de mer et plus encore au mal de la peur, se tordait les mains en criant : « Oh! si je pouvais voir les deux étoiles, ou du moins l’une des deux ! » Le capitaine, impatienté, lui demanda ce qu’il voulait dire. « Je parle, répondit-il, de l’endroit où nous nous réunissions le soir, — où nous ne nous réunirons plus : — l’Étoile dans Colemanstreet, ou l’Étoile dans Puddinglane. » Quelques tavernes de Londres sont demeurées fidèles à leur vieille enseigne; d’autres l’ont changée ou en ont modifié le sens pour l’approprier aux révolutions religieuses et politiques. La taverne de la Salutation, à Billingsgate, représentait d’abord l’ange Gabriel saluant la vierge Marie; mais, pour accommoder le nom de l’établissement aux idées protestantes, on remplaça la scène religieuse par la rencontre de deux hommes qui s’abordent et qui se saluent. La littérature anglaise du XVIIIe siècle a rendu célèbre cet autre publicain qui demeurait près d’Islington, et qui avait d’abord arboré l’enseigne du roi de France; la guerre ayant éclaté entre la France et l’Angleterre, il remplaça l’ancien tableau par celui de la reine de Hongrie, puis, la

  1. Akerman décrit deux mille quatre cent soixante et une de ces empreintes.