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-même employées ? On s’est trompé sur la foi de la conscience ; on l’a mal observée, ou de ce qu’on y a observé on a mal conclu : rien de moins extraordinaire. L’observation et l’expérience externes ont plus d’une fois manqué la vérité. L’étude du moi n’est pas plus infaillible que celle de la nature. L’une a comme l’autre besoin de méthode, et la méthode une fois trouvée n’est pas facile à suivre. Qui ne sait qu’il est malaisé de se connaître soi-même ? Les métaphysiciens ont tour à tour commencé par les idées ou par les sensations, et ils ont obtenu des résultats différens. N’observant pas la même chose, ils ont vu des choses diverses. Par un côté, ils sont arrivés à des connaissances contingentes, par l’autre à des connaissances nécessaires. S’ensuit-il qu’il n’y ait ni connaissances contingentes, ni connaissances nécessaires ? Ne s’ensuit-il pas au contraire que les unes et les autres existent, et que l’homme est à la fois constitué par sa sensibilité et par sa raison ? Autrement que faudra-t-il conclure ? Que l’observation intérieure doit être abandonnée ? Mais je lis çà et là dans l’Histoire de la Civilisation en Angleterre que l’homme commence par suivre son imagination, avant de s’en rapporter au raisonnement. Comment sait-on qu’il y ait au monde de l’imagination et du raisonnement, si on ne les a observés dans les phénomènes de la conscience ? L’esprit humain, nous dit-on, a besoin d’entrer en doute des préjugés fruits de ses habitudes pour arriver à la science. Comment le sait-on ? Qu’est-ce que le doute ? Est-ce la physique, l’économie politique, la statistique qui nous l’ont appris ? Supposons, supposition bien chimérique, que nous connussions uniquement de la nature morale et intellectuelle de l’homme ce que nous en apprend la constatation des résultats extérieurs de son activité : ce serait n’en rien connaître, parce que ce serait n’en rien comprendre. Le bien, le mal, l’empire des préjugés et des passions, le rapport qui unit nos idées et nos sentimens, notre raison et notre volonté, rien de tout cela ne nous est révélé par aucune statistique ; c’est par une expérience interne subsidiairement aidée de la tradition et du langage que nous connaissons toutes ces choses, et la statistique ou l’observation des faits extérieurs et matériels ne nous en donne que les résultats. Ce sont les conséquences de la nature humaine que constate et décrit toute science historique : mais la nature humaine, nous en ignorerions le premier mot sans la conscience. De même que la science historique ne commence que lorsque les faits externes sont constatés, recueillis, classés avec soin, c’est un travail semblable sur les faits de conscience qui commence la science philosophique, et la science philosophique et la science historique sont nécessaires l’une à l’autre. Il m’est impossible d’apercevoir ce que le livre de M. Buckle aurait perdu à la reconnaissance de cette vérité élémentaire.