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Il passe avec une facilité extrême de la prière à une fête, d’une procession à une course de taureaux : nature étrange qui, sentant peu la pauvreté matérielle, est toujours, par son imagination, par la vivacité de ses entraînemens, par l’indépendance de ses goûts et de ses instincts, au-dessus de sa fortune.

Aussi le peuple andaloux est-il essentiellement poétique. Il n’est pas une impression, pas un sentiment, pas un souvenir familier qui ne trouve son expression dans une multitude de chants dont la mémoire populaire est la fidèle gardienne. Quelques-uns de ces chants sont des légendes pieuses, d’autres sont des histoires de bandits ou un écho des lointaines traditions locales; la plupart sont consacrés au plaisir, à la passion, à l’amour, et ce sont les plus vifs, les plus colorés. « Une femme andalouse a dans ses yeux le soleil, une aurore dans son sourire, et le paradis dans son amour. » Le soir, dans quelque vallée comme celle de Val-de-Paz, si poétiquement décrite par Fernan Caballero, au milieu de cette paix de la campagne, « qui se compose de silence et de solitude, » une voix vibrante s’élève tout à coup, et répète peut-être quelque chant comme celui-ci où un jeune homme trace le portrait de sa maîtresse : « Tu as un front qui est une place de guerre où l’amour triomphant a planté sa bannière. — Tu as des yeux, lumières de l’aube, dont l’éclat s’adoucit aux rayons de la lune. — Ton nez fin ressemble au fil d’une épée qui perce tous les cœurs. — Tu as un menton avec une fossette au milieu; si on devait m’en terrer là, je voudrais être mort. — Tu as une gorge si claire, si belle, que même ce que tu bois se voit au travers. — Ta taille, ô jeune fille, ressemble à un beau palmier qui se détache superbe entre toutes les plantes. — Tes pieds foulent si fièrement la terre, que partout où tu passes fleurissent les roses. — Voilà tes traits esquissés, ô jeune fille; vienne à présent le mois de mai qui te donnera des couleurs! » Et maintenant, en laissant de côté tant d’autres parties où la pauvre Andalousie n’aurait pas le beau rôle, je le crains, si l’on veut juger par ces choses légères de deux mouvemens différens de société, de deux natures populaires diverses, de deux génies poétiques opposés, qu’on se rappelle quelques-unes de ces chansons nées sous l’influence de la faim dans les districts industriels de l’Angleterre, ou, mieux encore, ce terrible chant de la chemise de Thomas Hood : « Travaille, dit la jeune femme en haillons, rivée à sa tâche, dans sa petite chambre glacée et nue; — travaille, travaille, misérable esclave! travaille dès que le coq chante, travaille quand les étoiles brillent, travaille jusqu’à ce que le sommeil te dompte, et qu’en rêvant tu achèves ta misérable besogne! » L’Andaloux répond : « Laissez pleurer les nuages, laissez briller le soleil, laissez les