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din du couvent. Où irai-je et que ferai-je? Je ne puis vivre qu’ici.» Alors la famille du laboureur chargée de la garde du couvent lui dit de rester, et depuis ce moment il a vécu avec ces pauvres gens, soignant toujours le jardin et attaché à ces vieux murs comme un lierre. Fray Gabriel parle peu d’habitude, il se borne à répéter ce que dit la vieille Maria, la mère de famille, qui a soin de lui. « Il appartenait, dit l’auteur, à l’excellente classe des pauvres d’esprit qui le sont aussi de paroles ; il concentrait en lui-même sa tristesse incolore, ses souvenirs uniformes, ses pensées monotones. » La vieille Maria dit de lui que le sang ne court pas dans ses veines, mais qu’il se promène. Fray Gabriel vit dans l’attente du jour où les pères reviendront au couvent, où les cloches remonteront au haut de la tour, et où on lui rendra des norias pour cultiver le jardin.

Quant à don Modesto Guerrero, c’est vraiment un personnage d’une autre trempe. C’est le fils d’un laboureur qui a fait la guerre autrefois et qui a conquis un grade, après quoi on l’a placé comme commandant au vieux fort de San-Cristobal, où il est depuis quarante ans. Modesto Guerrero n’a qu’un souci, comme fray Gabriel : c’est sa citadelle démantelée. Il écrit sans cesse au gouvernement pour lui demander des réparations, des canons, des soldats, et le gouvernement depuis quarante ans ne lui répond pas. Malheureusement don Modesto ne reçoit pas non plus sa solde, ce qui fait qu’il a un uniforme qui commence à dater, puisqu’il remonte à ses campagnes. Depuis longtemps, il ne connaît d’autre argent que celui qui brille à la garde de son épée. Du reste, don Modesto vit résigné et sans ambition, ami des habitans qui le saluent avec respect en l’appelant : mon commandant! et qui renouvellent ses provisions. Modesto Guerrero s’est accoutumé à une douce intimité avec une vieille fille aigre, sèche et dévote, du nom de Rosa. On les appelle tous deux dans le village : Turris davidica et Rosa mystica. Don Modesto poursuit quelquefois de plaisantes et inoffensives objurgations le bon fray Gabriel, il lui reproche de n’être point de l’église militante. Au demeurant, ces deux hommes, fray Gabriel et don Modesto Guerrero, — et ces deux ruines, le couvent de Villamar et le fort de San-Cristobal, — n’apparaissent-ils pas comme une personnification de l’Espagne religieuse et guerrière d’autrefois au milieu de tous les envahissemens du présent?

C’est à l’ombre de ces ruines que Fernan Caballero s’est plu à nouer d’une main délicate et hardie un de ses drames les plus originaux, la Gaviota. Le paysage lui-même, ce paysage qui entoure le vieux couvent et le vieux fort, a un aspect vivant et coloré. C’est un coin de terre aux bords de la mer, dans le comté de Niebla. Pla-