Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

magnifiques promesses faites à la statistique victorieuse de la philosophie, je lisais à d’autres heures, et dans un livre anglais qu’il faut bien appeler par son nom, un roman :

« Tel atelier occupe tant de centaines d’ouvriers et une machine de la force d’autant de chevaux. On sait à une livre près ce que peut faire la machine ; mais tous les calculateurs de la dette nationale réunis ne sauraient me dire ce que peut, pendant une seconde, pour le bien ou le mal, pour l’amour ou pour la haine, pour le patriotisme ou la révolte, pour la décomposition de la vertu en vice ou la transformation du vice en vertu, l’âme d’un seul de ces travailleurs aux visages paisibles, aux mouvemens réguliers, et qui ne sont que les très humbles serviteurs de cette machine brute. Il n’y a pas le moindre mystère dans la machine, il y a un mystère à jamais impénétrable dans le plus abject de ces hommes. Si donc nous réservions toute notre arithmétique pour les objets matériels, et si nous cherchions d’autres moyens pour gouverner ces terribles quantités inconnues ? Qu’en pensez-vous ?[1]. »


V.

M. Buckle n’est pas le premier qui ait cherché à se rendre compte des élémens de l’histoire de la société : il ne prétend pas l’être d’ailleurs, et il invoque souvent l’autorité de ses devanciers. Lorsqu’on les consulte avec lui, soit historiens, soit philosophes, l’esprit est troublé par l’immense difficulté de concilier la spéculation et l’érudition, l’hypothèse et l’archéologie, les idées et les faits. Vico, Ferguson, Rousseau, Goguet, Turgot, Herder, Herrenschwand, tant d’autres qu’on pourrait nommer, ont varié quant au dénombrement et à l’ordre des faits, et dans la confusion qui résulte de la multiplicité des objets et des points de vue, on conçoit que des esprits positifs et concluans aient cherché à tout simplifier pour tout éclaircir, à rétrécir le cadre du tableau pour le saisir d’un seul coup d’œil. Bien que M. Buckle montre plus de largeur de vue que M. Comte, nous ne pouvons nous empêcher de croire que sa théorie laisse en dehors trop de choses qu’il sera obligé de remettre en ligne de compte quand il l’appliquera à une histoire donnée. Déjà même, en commentant celle de l’Angleterre et de la France, il a rencontré plus de choses qu’il n’en avait annoncé. Le meilleur modèle à nous connu d’une décomposition exacte des élémens de l’histoire d’une nation a été donné par M. Guizot dans ses leçons sur la civilisation française. Essayez de faire entrer tout ce qu’il a vu et montré dans les formules des nouveaux systèmes, et peut-être d’aucun système :

  1. Les Temps difficiles, par Charles Dickens, traduction française.