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hasard le fantôme de l’Augusta qui surgit encore dans mon cœur? Non assurément, je ne le crois pas. Ce ne peut être pourtant, à coup sûr, la pensée de voir cette petite personne, dont je n’ai jamais été épris, qui éveille en moi de si singuliers tressaillemens.

Il chercha alors dans ses souvenirs tout ce qui avait trait à Luce ou Lucette, comme vous voudrez, et voici ce qu’il y trouva.

Il y avait de cela près d’une année, il était dans la lune de miel de son dernier amour, et qu’est-ce donc que la lune de miel de l’amour, quand celle du mariage a déjà tant de charmante puissance! Il était livré à tout ce que cette passion défendue, qui nous sépare en même temps du ciel et des hommes, a de plus délicieux et de plus brûlant. Elle l’avait emmené dans une retraite où elle jouait vis-à-vis de lui le rôle cher aux Marion de Lorme, car elle aimait, comme ses semblables, ces contrastes qui donnent un attrait éternel aux histoires de ces brigands romanesques, une nuit spectres sinistres des grands chemins, et l’autre hôtes gracieux des salons. Elle déployait à son endroit un luxe inouï de coquetteries virginales. C’étaient des robes blanches, des bouquets blancs, des regards dont l’ardeur se cachait sous un voile de tendresse ingénue. Malgré sa longue pratique des Armides de toute nature, Mesrour savourait une espèce inconnue d’enchantement. Mais ce n’est pas l’histoire d’Augusta que je veux raconter; c’est uniquement de Lucette qu’il s’agit. Lucette alors avait à peine dix-neuf ans. Elevée dans le même couvent qu’Augusta, elle avait eu pour cette séduisante créature une de ces amitiés printanières qui, dans quelques âmes, annoncent et précèdent l’amour. Elle avait vu cette compagne bien-aimée, plus âgée qu’elle de quelques années, disparaître tout à fait de sa vie. On sait où Augusta s’élança du premier bond. Lucette semblait destinée à une existence aussi paisible que celle de son amie était agitée. Malheureusement son père, employé subalterne dans je ne sais quelle administration, vint à mourir tout à coup; elle avait une mère coquette qui avait toujours placé toutes ses tendresses hors de la maison. Au lieu d’éviter Augusta, devenue l’arbitre d’une certaine espèce d’élégance, Mme D... La rechercha avec empressement. Dans le village où elle avait emmené Mesrour, Augusta était un personnage important. Elle occupait une habitation des plus compliquées, tenant du cottage, du chalet et du manoir; cette résidence éblouit la mère de Lucette, qui était venue tout près de là s’établir sous un toit modeste. Elle conclut avec Augusta la vieille alliance qui se forme si vite, d’une part entre l’indigence et la vanité, de l’autre entre le luxe et le vice. Pour Augusta, Mme D... était une manière de femme honnête, et pour Mme D..., Augusta était une sorte de grande dame. Lucette fut tout simplement heureuse de retrouver une amie.