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Quelles étranges scènes se sont passées dans cet été, disparu maintenant comme tant d’autres étés, entre Augusta, Lucette et Mesrour ! L’amour, qui n’a pas dans son sac autant de tours qu’on veut bien le dire, usa de cette éternelle malice qu’il emploie contre l’amitié dès qu’elle essaie, n’importe sous quelle forme, d’intervenir dans un des couples où il règne : il mit dans le cœur de Lucette une secrète inclination pour Jacques. C’était la première fois que la pauvre fille approchait autant du feu où brûlent leurs ailes tous ceux d’entre nous qui sont choses légères et ailées ; puis Augusta ne lui ménageait ni les confidences pleines de trouble, ni les tableaux pleins de danger. La passion de Mesrour était un joyau dont elle aimait tant à se parer ! Jacques, ma foi ! trouvait alors sa vie assez heureusement ordonnée. Quoiqu’il ne répondît pas à la tendresse de Lucette, cette tendresse le flattait, je dois le dire, puisqu’avant tout je veux la vérité dans ce récit : il trouvait que c’était une fleur agréablement éclose dans la solitude où une grande passion l’avait confiné. Parfois, le soir, Mesrour, assis sur un banc de gazon, entre deux femmes couronnées de beauté et de jeunesse, savourait l’heure présente en homme qui craint les trahisons de l’avenir et qui sait à quoi s’en tenir sur le passé. Je sais un soir surtout où il retenait son haleine pour ne pas faire envoler ce songe d’une nuit d’été au milieu duquel il se trouvait. Il était donc entre elles deux, au fond d’un bosquet tout rempli de charmantes ténèbres ; il tenait la main d’Augusta et la portait de temps en temps à ses lèvres, quand tout à coup, sur sa main à lui, il sentit un baiser, mais quel baiser ! quelque chose de brûlant et de léger qui fit pénétrer comme le souffle d’une caresse inconnue dans son cœur. C’était Lucette, dont l’âme parlait. Il eut alors la révélation brusque et soudaine de ce qu’il devait éprouver plus tard ; mais rien de passager comme ces violens élans du cœur qui interrompent l’ordre du temps et nous portent tout à coup vers les heures encore voilées de notre vie ! Il retomba dans le fatal amour auquel ce baiser imprévu l’avait un instant arraché.

« Jacques, je vous aime, vous le savez. Maintenant je déteste Augusta, dont cette cruelle passion est l’œuvre. Si vous ne m’aimez pas, Dieu sait ce que je deviendrai. Je mène ici une vie odieuse et insensée qui perd pour toujours mon bonheur en ce monde. Vous avez compris, j’en suis sûre, que je n’ai pas de mère. Vous seul pouvez peut-être me sauver. Le voulez-vous ? » C’est ainsi qu’elle lui parla un jour, la pauvre Luce. Il était quatre heures. Augusta, qui faisait une excursion dans le village, avait prié son amie, avec une insolente confiance, de tenir compagnie à son amant. On était à la fin d’une chaude journée de septembre ; il y avait dans l’air, sur le gazon et sur le feuillage une couleur dorée. Lucette écrasait