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thique qu’elle eût trouvé sur la liste restreinte et malheureuse de ses relations. Un moyen, même dur, même laborieux, d’aller à la conquête du pain quotidien sans engager pour cela des trésors dont maintenant elle connaissait le prix, voilà ce qu’elle avait demandé à cette femme en lui racontant sa situation. On lui répondait par la triste démonstration de l’impuissance dont toutes ses honnêtes combinaisons étaient atteintes. Son talent de « grand maître, » comme disait Jacques, n’avait point rencontré chez les marchands de tableaux la même appréciation que chez son amant. Une esquisse qu’elle avait envoyée en secret avait subi des critiques telles qu’on jugeait inutile de les lui raconter. Quant à ces humbles travaux dont elle avait courageusement embrassé la pensée, ils exigeaient de cruelles épreuves pour n’amener que des résultats stériles. On finissait par lui conseiller timidement et tristement, il est vrai, de revenir à ce qu’elle avait quitté. On lui prêchait avec une sorte d’onction douloureuse une résignation qui n’avait rien de moral. Telle était en définitive la conclusion de la lettre qu’elle avait provoquée.

Lorsqu’il eut fini cette lecture, Jacques se leva impétueusement et serra Lucette entre ses bras. « Mon cher amour, s’écria-t-il, j’ai eu le cœur serré tout à l’heure par des craintes si cruelles, par de si terribles soupçons, que tout me semble maintenant sans amertume en songeant à ce que j’ai éprouvé. Tu m’aimes, voilà ce que cette lettre me révèle, et malgré ce qu’elle a de pénible et de vulgaire, elle ne me cause ni tristesse ni courroux. Quoi! tu voulais, mon enfant adorée, engager pour moi, pour notre amour, ces cruelles luttes avec la vie qui brisent les plus fortes volontés? Va ! n’aie plus aucune inquiétude : tu es venue à moi, je te garde. Que Dieu me maudisse si je te chasse jamais de l’asile où sa volonté t’a conduite! » Ce disant, il eut une de ces émotions douces comme l’illusion, ardentes comme l’enthousiasme, qu’elle seule, cette Lucette, l’objet de maints jugemens sévères, je le sais bien, a eu le secret de lui donner.


VII.

« Parlez-moi donc de Mme de Fernelles, me disait une personne qui a déjà entendu cette histoire; c’est elle seule qui m’intéresse. Votre Jacques était trop heureux d’avoir une semblable amie. » Mme de Fernelles, c’est en effet, dans ce récit du moins, la gracieuse incarnation de la sagesse mondaine. Aussi la voyons-nous reparaître à l’heure fatale et suprême des pauvres amours que j’ai essayé de raconter. Mesrour, qui s’efforçait de s’ensevelir dans le sommeil pas-