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outre mesure et à ne pas comprendre que, dans ces questions délicates où plusieurs droits sont en présence, il y a également abus et danger à invoquer de part et d’autre le summum jus.

À coup sûr, une partie des biens du clergé pouvait utilement se diviser ; mais fallait-il diviser le tout ? Et en fait l’a-t-on divisé ? Non-seulement ce qui n’a pas été vendu a échappé à la division, mais une partie seulement des biens vendus s’est divisée. On ne partage pas à volonté les exploitations rurales ; chaque domaine forme le plus souvent un tout proportionné à la nature du sol, à l’étendue des bâtimens, à la constitution locale du travail. Partout où la division était réclamée par des circonstances antérieures, elle s’est faite ; partout où ces circonstances n’existaient pas, elle a échoué. Outre les terres incultes et les forêts, qui sont restées généralement en grandes masses, beaucoup d’anciennes fermes et métairies ayant appartenu au clergé ont encore aujourd’hui les mêmes dimensions qu’alors. On se trompe quand on suppose que les propriétés ecclésiastiques formaient toutes d’immenses agglomérations ; quelques riches abbayes possédaient en effet de grandes étendues, mais les petits bénéfices, qui se comptaient par milliers, n’ont pas pu se diviser beaucoup. Dans tous les cas, la division telle quelle a beaucoup plus profité à la moyenne propriété qu’à la petite, parce que l’une était plus prête que l’autre à tirer parti de l’occasion. Les petits propriétaires se sont beaucoup moins multipliés depuis la révolution qu’on ne croît communément. « Le nombre des petits propriétaires est si prodigieux, disait Arthur Young en 1789, que je crois bien qu’il comprend un tiers du royaume. » Il n’en comprend pas davantage aujourd’hui. La petite propriété mise ainsi hors de cause, la vente forcée doit avoir beaucoup moins de partisans. Qu’à 60,000 propriétaires ecclésiastiques, et par conséquent viagers, on ait substitué un égal nombre de bourgeois possédant sous une autre forme, c’est un changement considérable sans doute, mais qui n’a pas la portée qu’on veut lui donner.

J’ai dû me renfermer dans la question agricole et économique, la seule qui soit de mon sujet. Il eût été facile de montrer que le but moral et politique n’a pas été moins dépassé. Sans examiner en principe s’il était utile ou non à la bonne organisation de la société que 1’clergé restât propriétaire, je dirai seulement qu’on a commis une grande faute en le blessant dans ses intérêts, dans sa dignité et dans sa foi. Il ne faut pas oublier qu’en 1789 la grande majorité du clergé était animée des sentimens les plus libéraux : c’est l’ordre du clergé qui le premier a voté sa réunion à l’ordre du tiers, et qui, dans l’église Saint-Louis, à Versailles, effectua sous la protection de l’autel cette réunion décisive, malgré la résistance de