Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et sa gloire au sein de la race germanique; au dehors, la Prusse, n’osant prendre aucune résolution franche, assiégée de velléités d’amour-propre et de défaillances dans l’action, perdait ce rang de puissance de premier ordre dont elle est si justement fière. Son mauvais gouvernement l’avait fait déchoir à n’être plus que la première des puissances de second ordre. Elle ne trouvait plus l’emploi de ses forces que dans les insipides et sempiternelles querelles de ménage de la confédération.

Voilà le triste régime auquel la Prusse échappe enfin. Dans la crise bienfaisante qui vient de modifier sa situation, son bonheur n’a pas été seulement de rencontrer dans le prince de Prusse un ferme et honnête esprit, digne de gouverner un peuple actif, intelligent et généreux; la constitution de 1850, cette pauvre constitution dont les libéraux faisaient si peu de cas dans le principe, et qu’ils n’ont appréciée qu’à la longue, en y cherchant un abri contre les entreprises du parti de la croix, cette constitution a rendu un service décisif à la cause libérale, et a fourni le lien qui attache la nouvelle régence à cette cause. Comment la constitution a-t-elle eu cette efficacité? La chose mérite d’être racontée.

Tout le monde a rendu justice à la réserve qu’a montrée le prince de Prusse depuis que la maladie du roi Frédéric-Guillaume l’a appelé au pouvoir. Le prince de Prusse n’a témoigné aucune impatience de prendre la régence. Lorsque la maladie a altéré les facultés intellectuelles du roi, on a dû craindre que le rétablissement de la santé du souverain ne fut impossible. L’article 56 de la charte de 1850 avait pourvu à une éventualité semblable. En vertu de cette disposition constitutionnelle, le roi ne pouvant plus remplir les fonctions royales, « l’agnat le plus rapproché de la couronne devait prendre la régence. » Tel était, en vertu de la constitution, le droit du prince de Prusse dès que la maladie du roi paraissait aux médecins devoir durer quelque temps. Par un sentiment de haute convenance, le prince ne crut pas devoir user de ce droit tout d’abord. Il ne prit le gouvernement qu’à titre provisoire, sur une lettre portant la signature du roi, et qui, sans faire mention de régence ni de constitution, l’invitait à le remplacer dans la direction des affaires de l’état pendant trois mois. Le prince prit le pouvoir à ce titre, mais comme une simple suppléance, déclarant qu’il agirait au nom du roi, « suivant les intentions de sa majesté, telles qu’elles lui étaient connues, » ce qui signifiait que, se considérant comme remplissant un simple intérim, il ne se croyait point autorisé à apporter aucun changement dans le personnel du ministère ou dans la direction des affaires. Lorsque les trois mois furent expirés, la situation était changée. En continuant à gouverner au même titre, le prince de Prusse ne pouvait se dissimuler qu’il assumait la responsabilité du pouvoir, sans avoir cependant la liberté d’action que la responsabilité suppose. Gouverner indéfiniment « d’après les intentions connues du roi,» c’était abandonner indéfiniment la réalité du pouvoir au ministère en exercice au moment où le souverain avait été obligé d’interrompre ses fonctions royales. Il y avait dans cette situation une contradiction étrange, qui n’échappait ni au prince, ni aux ministres, ni au parti de la croix, ni surtout à l’opinion publique, laquelle attendait du prince l’inauguration d’un système libéral. La délégation royale fut pourtant renouvelée en janvier, en avril et en juillet. A chaque renouvellement, les dif-