Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Que faire contre le préjugé ? me dit Vandell. Il est partout, et ni vous ni moi n’y changerons rien. Non, mon ami, Haoûa ne sera pas admise dans la tente des mères de famille. On y parle un langage que peut-être elle n’a jamais parlé, on s’y livre à des jeux dont rougirait peut-être son pâle visage ; mais l’une a montré ses joues, les autres restent voilées ; l’une ouvre volontiers sa maison, les autres ferment la leur : ce n’est point une question de sentiment, c’est une question de discipline. Toute la différence est dans un rideau : baissé, la femme est honnête ; levé, la femme ne l’est plus. C’est, comme vous le voyez, très fictif, très déraisonnahle, et cependant sacré comme un principe et respectable comme le devoir. Au surplus, ajouta Vandell, laissons agir le préjugé. Il est hypocrite, il est injuste et cruel, il fait des victimes et les choisit mal, les sacrifie sans en avoir le droit ; au fond, il est utile. L’intolérance est l’hypocrisie de la vertu, d’accord ; mais c’est aussi le dernier hommage rendu à la loi morale par un peuple qui n’a plus de mœurs.

Au moment où retentirent les premiers coups de fusil de la course, Aïchouna dit à son amie : — Viens, voici que les chevaux partent.

Elles se levèrent alors, prirent leur voile et se mêlèrent à la foule des spectateurs. — Au revoir, me dit Haoûa selon sa coutume. — Au revoir, lui dis-je comme autrefois. J’aurais pu lui dire : adieu, car je ne la retrouvai plus que dans sa tente, à demi morte et méconnaissable.

D’abord nous vîmes courir la valetaille, les gens de classe inférieure, les plus pauvrement montés de la tribu : de petits chevaux sans tournure, des cavaliers sans luxe, de mauvais fusils rouilles, quelquefois un bout de ficelle au lieu de bride. De pareils écuyers n’ont pour se rendre intéressans que la vitesse, ils montent leurs chevaux comme ils monteraient des oiseaux rapides, ne les gouvernent point, les maîtrisent à peine et les laissent voler de toute la légèreté d’un galop qui ne fait pas beaucoup plus de bruit que des ailes. La première bête venue leur est bonne, fut-elle à demi dressée, n’eût-elle pas encore l’âge de servir, pourvu qu’elle ait l’allure vive, et la plus méchante arme leur convient, pourvu qu’elle contienne la poudre et fasse explosion sans éclater. Quand ils n’ont ni bottes, ni éperons, ils se servent de la houssine et du tranchant de l’étrier ; à défaut de cravache, ils ont leur cri de arrah, sorte de clameur irrésistible pour des chevaux aussi excitables qu’ils sont dociles. Il ne s’agit point de parader, de faire des prouesses ; il suffit de courir ventre à terre, de décharger ses armes en atteignant le but, et de recueillir, en passant devant la tente où sont les femmes, les you-you qui répondent en manière d’applaudissemens aux salves dont la mousqueterie les salue. Toutes les classes et toutes les fortunes