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un cavalier accompli, célèbre dans la plaine, où sa jument grise a fait des miracles. Cette jument est un petit animal efflanqué, très souple et fluet, couleur de souris, complètement rasé, sans crinière, et clont la queue tondue ressemble au fouet des chiens courans. Des argenteries fanées, des grelots, des amulettes, une multitude de chaînettes pendantes, la décoraient d’une sorte de parure originale pleine de bruissemens et d’étincelles. Kaddour était en veste écarlate, en pantalon de couleur pourpre. Il portait deux fusils, l’un sur la tête, l’autre dans la main gauche ; dans la droite, il avait un pistolet dont il fit feu ; puis il fit feu de ses deux fusils, l’un après l’autre, en les changeant de main, les lança comme un jongleur fait de deux cannes, et disparut étendu sur le cou de sa bête, son menton touchant la crinière.

La mousqueterie ne cessa plus. Coup sur coup, sans relâche, des cavaliers se succédèrent à travers un rideau de poussière et de poudre enflammée, et les femmes, qui continuèrent de battre des mains et de pousser leurs glapissemens bizarres, purent respirer pendant une heure l’ardente atmosphère d’un champ de bataille. Imagine, mon ami, ce qui ne pourra jamais revivre dans ces notes, où la forme est froide, où la phrase est lente ; imagine ce qu’il y a de plus impétueux dans le désordre, de plus insaisissable dans la vitesse, de plus rayonnant dans des couleurs crues frappées de soleil. Figure-toi le scintillement des armes, le pétillement de la lumière sur tous ces groupes en mouvement, les haïk dénoués par la course, les frissonnemens du vent dans les étoiï’es, l’éclat fugitif, comme l’éclair, de tant de choses brillantes, des rouges vifs, des orangés pareils à du feu, des blancs froids qu’inondaient les gris du ciel ; les selles de velours, les selles d’or, les pompons aux têtières des chevaux, les œillères criblées de broderies, les plastrons, les brides, les mors trempés de sueur ou ruisselans d’écume. Ajoute à ce luxe de visions, fait pour les yeux, le tumulte encore plus étourdissant de ce qu’on entend : les cris des coureurs, les clameurs des femmes, le tapage de la poudre, le terrible galop des chevaux lancés à toute volée, le tintement, le cliquetis de mille et mille choses sonores. Donne à la scène son vrai cadre que tu connais, calme et blond, seulement un peu voilé par des poussières, et peut-être entreverras-tu, dans le pêle-mêle d’une action joyeuse comme une fête, enivrante en eftet comme la guerre, le spectacle éblouissant qu’on appelle une fantasia arabe. Ce spectacle attend son peintre. Un seul homme aujourd’hui saurait le comprendre et le traduire ; lui seul aurait la fantaisie ingénieuse et la puissance, l’audace et le droit de l’essayer.

Réduite à des élémens tout à fait simples, à ne regarder dans cette mise en scène surabondante qu’un seul groupe, et dans ce