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costume et son embonpoint l’empêchaient de se dresser tout à fait, mais à demi soulevé sur ses étriers, une main posée carrément sur le pommeau de sa selle, l’autre agitant un long fusil, arme magnifique qu’il dédaignait de charger à poudre. Un sabre kabyle à fourreau d’argent pendait à son épaule gauche, et complétait ce splendide harnais de guerre. Après chaque course fournie, les cavaliers revenaient au petit pas ou dans un galop plein d’allure. Ils s’arrêtaient un moment vers le milieu du champ de course, y faisaient bondir leurs chevaux pour les exciter davantage, les harcelaient de la bride, les éperonnaient sur place, et retournaient, en paradant, se former en bataille à leur point de départ.

Au milieu de ce luxe, de ce désordre et de ce bruit passait et repassait l’aventureux Amar-ben-Arif. Je ne l’avais pas vu depuis la soirée d’Hassan ; je me souvenais du joueur d’échecs, sobre de gestes, froid de paroles, et quand Vandell me dit : Voici Ben-Arif, je ne le reconnus plus.

À cheval, il me parut court, moins élégant que beaucoup d’autres, mais d’une solidité qui n’avait pas d’égale. On le sentait inébranlable, et, soit qu’il quittât la selle ou qu’il s’y cramponnât, debout comme assis, même dans le plus périlleux des équilibres, il conservait la puissance de carrure et la facilité d’évolutions d’un lutteur. De son visage, à moitié masqué par un pli relevé du haïk, on n’apercevait que le haut des joues d’une pâleur ardente, deux pointes de moustaches hérissées et des yeux couleur de charbons en feu. Modestement habillé de drap sombre, sans beaucoup de broderies, mais avec toute sorte d’armes passées dans la ceinture, il maniait en écuyer consommé un cheval grisâtre dont tout le harnachement, moitié cuir violet, moitié métal, ressemblait à des aciers ciselés. Pour fusil, il avait une arme française à double canon, dans lequel il versait des pleines mains de poudre. Il l’amorçait en courant, et de minute en minute nous le voyions paraître, soit seul, soit accompagné, mais toujours reconnaissable à sa mine un peu étrange, à son cheval tout miroitant d’acier bleuâtre, à la double détonation de son fusil, qui nous éclatait en plein visage. Il s’annonçait d’ailleurs par un galop bruyant, car, contre l’usage presque général dans les tribus, son cheval était ferré.

Cette course effrénée durait depuis une heure. Amar paraissait aussi infatigable qu’au début ; il n’avait pas mis pied à terre une seule fois, et sa bête n’avait pas soufflé une seule minute.

Ya ! Ben-Arif, lui criait-on, prends garde à ton cheval, qui saigne. Tu l’éventreras, prends-y garde.

Il répondait seulement : — Patience, j’en ai un autre. — Puis il repartait ventre à terre, et fournissait un galop, sinon plus rapide, du moins plus impétueux que les précédens.