Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

des jardins intérieurs du dey Hussein ; un maigre cyprès, pointant dans le ciel comme un fil sombre, mais qui, de loin, ressemble à une aigrette sur un turban. Quoi qu’on fasse, elle est encore, et pour longtemps, j’espère, El-Bahadja, c’est-à-dire la plus blanche ville peut-être de tout l’Orient. Et quand le soleil se lève pour l’éclairer, quand elle s’illumine et se colore à ce rayon vermeil qui tous les matins lui vient de La Mecque, on la croirait sortie de la veille d’un immense bloc de marbre blanc, veiné de rose.

La ville est flanquée de ses deux forts, le fort Bab-Azoun, qui ne l’a pas défendue, et le fort de l’Empereur, Bordj-Moulaye-Hassan, qui l’a fait prendre. En avant s’étendent les faubourgs, qu’heureusement je ne vois pas d’ici. Les bâtimens de la marine, jolie ligne architecturale animée de couleurs vives, se reflètent avec des miroitemens infinis dans des eaux du bleu le plus tendre, et je puis dire que je ne perds pas un seul trait regrettable de cette silhouette exquise. Comme tu le vois, ce n’est pas l’étendue, ni l’air vif, ni la lumière qui manquent à ce panorama. Le soleil se promène tout autour de ma cellule sans y pénétrer jamais. Il y règne une ombre inviolable. Pour vis-à-vis direct, j’ai le ciel fixe du nord-est et le rideau bleu de la haute mer. Le demi-jour azuré qui descend du ciel se répand avec égalité sur les murs blancs, sur les lambris et sur le sol parqueté de faïences à fleurs. Rien n’est plus abrité ni plus ouvert, plus sonore ni plus paisible ; il y a dans ce réduit, aussi favorable au repos qu’au travail, une sorte de tranquillité froide et blême, et comme une habitude de douceur qui me ravit profondément.

J’ai presque deux jardins. L’un est petit, enclos de murs, planté de rosiers, d’orangers, de caoutchoucs et d’arbres à haut feuillage qui vont me prêter de l’ombre pendant tout l’hiver, ce qui fait que par reconnaissance au moins j’en apprendrai le nom. Au fond, j’ai une écurie avec des chevaux, et toute une compagnie de pigeons blancs et bleus est baraquée au-dessus de la niche du chien de garde. On ne saurait être plus propriétaire. Mon second jardin n’est, à proprement parler, qu’un parterre enclavé dans un pré pâturé que des pluies récentes ont fait un peu reverdir, et qui commence à se garnir de mauves sauvages. Un troupeau de vaches plus décharnées que les animaux de Karel et de Berghem s’y promènent tout le jour, tondant l’herbe à mesure qu’elle pousse, et léchant la terre aux endroits stériles. Ces petites bêtes aux os saillans me rappellent les cantons pauvres de la France, et dans les dispositions d’esprit où je suis, ce souvenir est loin de me déplaire. Quelquefois deux ou trois chameaux noirâtres et galeux, escortés d’un petit ânon tout à fait étrange à cause de la longueur de ses poils, s’y