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tings retentissaient de discussions et d’injures. Les noms de whigs et de tories venaient de naître, et les plus hauts débats de philosophie politique s’agitaient, nourris par le sentiment d’intérêts présens et pratiques, aigris par la rancune de passions anciennes et blessées. Dryden s’y lança, et son poème d’Absalon et Acintophel fut un pamphlet. « Je manie mieux le style âpre que le style doux, » disait-il dans sa préface, et en effet, dans une telle guerre il fallait des armes ; c’est à peine si une allégorie biblique conforme au goût du temps dissimule les noms sans cacher les hommes. Il expose la tranquille vieillesse et le droit incontesté du roi David[1], la grâce, l’humeur pliante, la popularité de son fils naturel Absalon[2], le génie et la perfidie d’Achitophel[3], qui soulève le fils contre le père, rassemble les ambitions froissées et ranime les factions vaincues. D’esprit, il n’y en a guère : on n’a pas le loisir d’être spirituel en de pareilles batailles ; songez à ce peuple soulevé qui écoute, à ces hommes emprisonnés, exilés, qui attendent : c’est la fortune, la liberté, la vie ici qui sont en jeu. Il s’agit de frapper juste et fort, il ne s’agit point de frapper avec grâce. Il faut que le public reconnaisse les personnages, qu’il crie leurs noms sous leurs portraits, qu’il applaudisse à l’insulte dont on les charge, qu’il les bafoue, qu’il les précipite du haut rang où ils veulent monter. Dryden les passe tous en revue.


« Shimei[4], de qui la jeunesse avait été fertile en promesses — de zèle pour son Dieu et de haine pour son roi, — qui sagement s’abstenait des péchés coûteux — et ne rompait jamais le sabbat, excepté pour un bénéfice, — qu’on ne vit jamais lâcher une malédiction — ou un juron, si ce n’est contre le gouvernement...

«... Zimri[5], — homme si divers qu’il semblait ne point être — un seul homme, mais l’abrégé de tout le genre humain. — Raide dans ses opinions, et toujours du mauvais côté, — étant toute chose par écarts, et jamais rien longtemps ; — vous le trouviez, dans le cours d’une lune révolue, — chimiste, ménétrier, homme d’état et bouffon, — puis tout aux femmes, à la peinture, aux vers, à la bouteille, — outre dix mille boutades qui mouraient en lui en naissant. — Heureux fou, qui pouvait employer toutes ses heures — à désirer ou à goûter quelque chose de nouveau ! — L’injure et l’enthousiasme étaient son style ordinaire ; — l’un et l’autre (signe de bon jugement!) toujours dans l’excès, — si extrêmement violent ou si extrêmement poli, — que chaque homme pour lui était un dieu ou un diable. — Dissiper la richesse était son talent propre. — Nulle chose qu’il laissât sans récom-

  1. Charles Ier.
  2. Le duc de Monmouth.
  3. Le comte de Shaftesbury.
  4. Slingsby Bethel.
  5. Le duc de Buckingham.