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conquête de la France, ils demandaient donc sa division, l’anéantissement de son influence et l’avilissement de son roi, c’est-à-dire des massacres de trois siècles peut-être. Mais nos neveux, qui danseront sur nos tombeaux, riront de notre ignorance actuelle; ils se consoleront aisément des excès que nous avons vus et qui auront conservé l’intégrité du plus beau royaume après celui du ciel. »

Voilà donc l’idée de la révolution dans de Maistre, et cette idée, nous l’appelons fondamentale; c’est elle qui a, répétons-le, mis le feu à son génie, car elle respirera désormais dans toutes ses pensées, elle s’agitera dans tous ses écrits, jusqu’à cette dernière ligne des Soirées, qui fut, en 1821, interrompue par la mort. Au point de vue politique, la cause de la révolution est dans les abus antérieurs, dans l’inertie égoïste des pouvoirs publics, dans l’abaissement moral des classes gouvernantes. Ses calamités s’expliquent par les difficultés qui s’élèvent devant l’homme quand il ne s’amende pas : alors « la chaîne souple » qui attache son libre arbitre au trône de l’Éternel « se raccourcit tout à coup ; » une fatalité satanique se charge pour un moment d’exécuter les hautes œuvres des peuples. Bientôt pourtant les résultats se retrouvent, un nouveau monde sort des décombres de l’ancien, et l’horizon jette déjà « les brillantes clartés » qui éclaireront toutes les nations. Au point de vue religieux, chacun de ces trois mêmes faits lui apparaît déjà à une plus grande profondeur, comme le mystère de la destinée. Il y a une faute commune-à toute la nation, quoique tous ne l’aient pas individuellement commise, car la nation est une, et tous ses membres sont solidaires; il y a un supplice que le juste subit comme le coupable et pour lui ; du supplice même sort la régénération de la postérité, parce que l’expiation des ancêtres est réversible sur elle, Le christ de cette passion rédemptrice, chargé des péchés du monde, sacrificateur et victime, et vivifiant le monde par sa résurrection, c’est la France. Et déjà cette mystérieuse trilogie, s’agrandissant dans sa pensée jusqu’aux proportions de l’humanité entière, se pose devant lui comme le problème philosophique qu’il sondera plus tard par l’histoire universelle et par la raison. C’est ce qu’annonce ce long chapitre sur la guerre, sur l’effusion du sang, qui ne cesse pas, et qu’on ne peut étancher qu’en comprimant les désordres moraux et intellectuels qui la causent, sur l’usage inexplicable des sacrifices sanglans répandu parmi tous les peuples, et les dévouemens, « si fameux dans l’antiquité, » et dont le christianisme est un exemple consacré et agrandi, enfin sur la réversibilité des mérites et des souffrances comme solution du mystère, — car « il n’y a point de châtiment qui ne purifie, point de désordre que l’amour éternel ne tourne contre le principe du mal.» Voilà ce que de Maistre a vu du premier coup dans la révolution française; il l’a donc vue si pro-