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veut pas pour cela qu’on la transplante là où les mêmes élémens n’existent point. « J’admire, dit-il, leur gouvernement, sans croire cependant, je ne dis pas qu’on doive, mais encore qu’on puisse le transporter ailleurs; je me prosterne devant leurs lois criminelles, leurs arts, leurs sciences, leur esprit public. » Et dans une note inachevée on trouve encore ces mots : « Il faut être bien aveugle et bien injuste pour envier à la Grande-Bretagne le pouvoir et l’influence bien légitimement dus à son génie, à son admirable constitution et à son esprit public. » Ainsi au temps même de sa plus vive irritation il définissait les gouvernemens absolus, non des pouvoirs forts, mais des monstres de faiblesse; il les déclare en outre l’horreur du siècle. La puissance et la gloire de l’Angleterre sont dans l’esprit public anglais et dans la constitution qui le crée; seulement il faut que la liberté soit une production indigène, et non une forme empruntée, une apparence qui couvrirait les réalités sans y tenir, et qu’un souffle dissiperait.

A chaque phase des événemens, son esprit cherche l’idée qu’elle contient, et, tout en s’attachant de préférence à ce qu’il y a de stable dans les choses, il ne craint pas pourtant d’envisager comme caduc ce qu’il aimerait à voir stable. En 1802, il voit déjà Bonaparte empereur, et il se demande ce que c’est que légitimité, ce que c’est qu’usurpation. « Il y a des usurpations très criminelles dans leur principe, dit-il, auxquelles cependant il plaît à la Providence d’apposer le sceau de la légitimité par une longue possession. J’aime bien mieux Bonaparte roi que simple conquérant. Cette farce impériale n’ajoute rien du tout à sa puissance, et tue sans retour ce qu’on appelle proprement la révolution française, c’est-à-dire l’esprit révolutionnaire. » On voit qu’il distingue ici entre la révolution et l’esprit révolutionnaire, qui sont en effet deux choses très différentes. Ce n’est pas qu’il croie définitif cet avenir de Bonaparte; il pense au contraire que sa « commission » est de rétablir la monarchie, après quoi « il disparaîtra, lui ou sa race. » Jamais un simple particulier n’a commencé une dynastie royale : Charlemagne, Hugues Capet, Guillaume III, étaient nés princes ; leurs familles étaient « mûres pour la royauté, » quand elles la prirent. Cependant « il n’y a qu’un usurpateur de génie qui ait la main assez ferme et assez dure » pour rétablir l’ordre. Les uns, remarque-t-il encore en 1809, croient sa puissance légitime et sa dynastie établie, les autres le regardent comme un aventurier coupable. Ces deux opinions sont également fausses, « et la dernière l’est peut-être plus que l’autre. » Dans son mémoire de 1810, u Bonaparte n’est qu’un immense zéro, une nullité toute-puissante. Rien ne lui résiste; mais son action est purement destructive, et il ne fait que balayer la place pour les architectes futurs.» Personne n’a le droit de dire : C’est fini. On l’a dit