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c’est « la liberté, l’égalité, l’esprit de résistance et d’examen, qui ne plaisent que trop à la nature corrompue. » Il proteste donc, mais il cède; il protestera souvent encore par des retours hostiles, car ces transformations de l’esprit sous la force des choses sont douloureuses; peut-être aussi fallait-il protester pour se faire écouter de ceux qu’il voulait convaincre et les porter à se résigner comme il se résignait. Trouverait-on pourtant, vers 1810, quelqu’un qui eût défini aussi grandement cette révolution, « dont la base est le monde, » dont l’importance égale celle de la chute de l’empire romain, et qui a pour ne plus reculer « mille et mille raisons» déduites de tous les ordres des connaissances humaines?

Maintenant que nous le connaissons un peu mieux, demandons-lui son avis sur cette grande question italienne, qui concentre aujourd’hui en elle toute la politique de l’Europe. Sera-t-il pour l’Autriche? Sera-t-il pour l’agrandissement de la monarchie piémontaise, et osera-t-il associer à cette espérance héréditaire de la maison de Savoie l’idée de liberté politique qui en est la condition pratique? À cette question les réponses affluent. Rien de plus affirmatif ni de plus persévérant que son opinion sur l’antagonisme irrémédiable entre le Piémont et l’Autriche, qui ne peut finir, assure-t-il, que par l’expulsion de l’une ou la destruction de l’autre. « La maison de Savoie, dit-il en 1803, a une tendance naturelle, avouée par la saine politique, à s’agrandir dans le nord de l’Italie, » et c’est ce qui lui attire a la haine implacable de l’implacable maison d’Autriche. » Il répète en 1805 que si le roi de Sardaigne se résigne « à voir la maison d’Autriche dominer de Venise à Pavie, c’en est fait de la maison de Savoie : vixit. » Puis encore : « Tant qu’on n’aura pas établi une puissance respectable dans le nord de ce beau pays, on n’aura rien fait. » Il faut y réunir Gênes et Venise. « Si vous rendiez Venise et Gênes à elles-mêmes, elles tomberaient en pièces sans que personne s’en mêlât. Que voulez-vous faire de ces républiques faites ou refaites par la France? Elles n’ont qu’une fausse vie... Il faut les détruire et s’en servir pour redonner une assiette à l’Italie et à l’Europe. » Et il avait inspiré cette idée à l’empereur Alexandre, dont le plan était de laisser la Savoie à la France, et de réunir au Piémont les deux républiques et Milan. Telles étaient, il y a plus d’un demi-siècle, les pensées de Joseph de Maistre sur la question d’aujourd’hui. Réciproquement l’Autriche dirigeait sa patiente et tortueuse politique vers le résultat contraire : laisser écraser le Piémont par les Français, afin de le reprendre ensuite pour le garder, telle était sa maxime. Il faut lire cette lettre mordante où il décrit le perfide procédé autrichien. « Il y a douze ans environ, dit-il, que l’excellent empereur François II disait à un sujet distingué de sa majesté : Comment a-t-on pu croire que je voulais m’approprier quelques possessions