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aux mystères de la vie, aux généralités de l’histoire. S’il hasarde une conjecture sur l’avenir des dynasties royales, ou de la révolution, ou du premier consul, il lève les yeux sur l’humanité et y cherche quelque commune loi qui puisse l’éclairer sur le fait présent. C’est Là en effet la direction constante de son esprit, et c’est ce qui explique son penchant à prédire, car la prédiction suppose des lois régulières dans la marche des choses humaines. Nous verrons donc, en jetant un coup d’œil sur la partie théorique de ses idées, que toute sa philosophie repose sur ces deux bases : les lois du monde, comme il les appelle, et l’histoire, ou en d’autres termes le consentement du genre humain, qui les manifeste et les confirme.

Les renseignemens nous manquent pour remonter sûrement aux influences qui, dès avant la révolution, avaient dû préparer son esprit à ces vues plus larges, si étrangères jusqu’alors aux lettres françaises. On sait qu’il avait été membre d’une loge maçonnique qui fut suspecte et dissoute quand les premiers troubles menacèrent son pays. Il est peu probable que ces loges fussent, au moins dans leur tendance, parfaitement exemptes de l’esprit novateur. Au moins avait-il une haute idée des disciples de Saint-Martin, qu’il appelle des «chrétiens exaltés, » dont le christianisme annonçait des « mystères ineffables, nullement inaccessibles à l’homme. » Il reconnaît leur piété, et il est, dit-il, si fort pénétré des livres et des discours de ces hommes-là, qu’il ne leur est pas possible de placer dans un écrit quelconque une syllabe qu’il ne reconnaisse. » Aussi n’est-il pas difficile de discerner en lui, à toutes les époques, plus d’une de leurs empreintes. Ce qu’il blâme surtout chez eux, c’est leur dédain pour la hiérarchie, le caractère individuel de leur doctrine, et cela se comprend; il était, lui, homme d’autorité, et conformément à la tradition universelle il voulait une doctrine instituée, un sacerdoce. De plus, versé dans la littérature italienne et magistrat, il avait lu le jurisconsulte Vico, qu’il cite. Or ce n’est pas là un génie qu’on puisse fréquenter sans en retenir quelque chose, et plus d’une encore de ses idées pourrait être ramenée à cette source. Il paraît aussi avoir été frappé de bonne heure des vues palingénésiques de Charles Bonnet. A Saint-Pétersbourg, au milieu d’une société instruite, réunie de tous les points de l’Europe, où il aimait à discuter de toutes choses et où on aimait à l’entendre, il n’échappa point à la philosophie allemande; il a dû connaître l’Éducation du genre humain de Lessing; au moins connaissait-il les travaux de Heyne et des nouveaux mythologues, précurseurs de l’interprétation rationaliste de nos livres sacrés; il dissertait sur ce dernier point avec le comte Potocki. Il cherchait les analogies des religions et lisait les études comparées de Wilson sur les cultes de l’Inde et de la Grèce. Platon était sa lecture favorite. C’en est assez pour juger qu’il était en