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commerce avec les esprits généralisateurs et les interprètes les plus libres des dogmes et des institutions humaines. Or, de même que les révolutions politiques, d’après l’aveu qu’il nous a déjà fait, agissent « même sur ceux qui résistent, » et chargent à leur insu « même les fidèles, » ainsi en est-il des révolutions intellectuelles. Cette science nouvelle, qui, laissant à l’écart les formules autorisées, sonde les dogmes religieux pour en trouver l’identité et interroge les sphinx de toutes les nations, s’est logée à son insu dans les replis de son intelligence, et de là elle le conduit plus loin qu’il ne pense. Sans doute, dans ces lectures assidues, qu’il fait toujours «la plume à la main, » il tient peu de compte des systèmes, il n’en parle même pas; il n’entend pas non plus en faire un à lui; son système est le christianisme catholique. A ce christianisme toutefois il adapte les idées qu’il recueille ; il les ordonne en une théorie distincte du dogme, mais qui lui est parallèle et qui le justifie par la raison humaine, de sorte qu’il le rationalise, et arrive par là au même but que la critique. Sa philosophie consiste à considérer la religion comme un ensemble de « lois du monde divinisées dans le cercle religieux, » ce qui en déplace la base. Seulement cette direction intime ne se déclare que progressivement, à mesure que son « inspiration, » comme il ne craint pas de dire, le pousse en avant, et nous la verrons se révéler d’abord dans la théorie politique, dont nous allons d’abord nous occuper.

L’histoire est la manifestation du gouvernement temporel de la Providence. « Nous sommes tous attachés au trône de l’Éternel par une chaîne souple, qui nous retient sans nous asservir. Ce qu’il y a de plus admirable dans l’ordre universel des choses, c’est l’action des êtres libres sous l’action divine. Librement esclaves, ils opèrent tout à la fois volontairement et nécessairement; ils font réellement ce qu’ils veulent, mais sans pouvoir déranger les plans généraux. » Leur action est régulière et produit certains effets dans le cours ordinaire des choses; « mais, dans les temps de révolution, la chaîne qui lie l’homme se raccourcit brusquement, son action diminue et ses moyens le trompent. » Ces lignes, les premières que de Maistre ait écrites pour le public, établissent son point de départ. Sans doute il y manque quelque chose à la précision des termes; mais la pensée dans son ensemble est juste et grandement exprimée. On a attaché trop d’importance à un mouvement d’éloquence biblique par lequel il introduit ici le merveilleux, qui n’y est nullement nécessaire, et trouve bon d’appeler la révolution un miracle. Le miracle est trop souvent un moyen oratoire chez des écrivains religieux; on dirait qu’ils savent tous, et à propos de tout, les desseins éternels. Dans l’histoire, cette prétention viiine la liaison des effets et des causes; tout y devient miracle, ou plutôt il n’y en a plus, il n’y a plus qu’a-