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placé en haut, dans une famille, un corps ou une puissance élective dont la légitimité résulte aussi d’une longue suite de circonstances providentielles, indépendantes des plans conçus par les hommes. Ces deux questions, dont la solution est déjà indiquée dans les Considérations, sont traitées plus particulièrement, la première dans l’Essai sur le principe générateur des constitutions humaines, la seconde dans le livre du Pape.

« Aucune constitution ne peut être écrite a priori. Une constitution est une œuvre divine; l’action humaine n’y entre que d’une manière subordonnée, ou comme simple instrument. Seulement, lorsque la société se trouve déjà constituée sans qu’on puisse dire comment, il est possible de faire déclarer ou expliquer par écrit certains articles particuliers; mais presque toujours ces déclarations sont l’effet ou la cause de très grands maux, et toujours elles coûtent aux peuples plus qu’elles ne valent. Ce qu’il y a de fondamental et d’essentiellement constitutionnel dans les lois d’une nation ne saurait être écrit. La véritable constitution anglaise est cet esprit public admirable, unique, infaillible, au-dessus de tout éloge, qui mène tout, qui sauve tout. Ce qui est écrit n’est rien[1]. » On voit déjà, remarquons-le tout de suite, poindre dans ces sentences, au milieu de belles et profondes pensées, l’erreur par excès, par intempérance logique, qui est sa maladie. Il condamne avec raison les constitutions écrites a priori, il nie que les élémens de la société soient construits par l’homme; mais bientôt la limite de sa pensée lui échappe, s’efface à sa vue, et voilà qu’il désapprouve tout ce qui est écrit. Nous reviendrons sur ce point : il faut avant tout dégager sa pensée pure.

« Les racines des constitutions politiques existent donc avant toute loi écrite, et une loi constitutionnelle n’est et ne peut être que le développement ou la sanction des droits préexistans. L’homme peut sans doute planter un pépin, élever un arbre, le perfectionner par la greffe, le tailler en cent manières; mais jamais il ne s’est figuré qu’il avait le pouvoir de faire un arbre. » On voit ici plus clairement sa pensée, un peu obscurcie pour nous à cause de l’habitude que nous avons d’appeler constitution l’acte délibéré qu’on désigne par ce nom. Pour de Maistre, la constitution est l’ensemble des élémens, des forces sociales, des classes, des faits acquis, dont cet acte n’est que la déclaration, le règlement, la conciliation. Ce qui va suivre l’expliquera parfaitement. Toutes les constitutions libres se sont formées, selon lui, de deux manières : ou elles ont en quelque sorte « germé » insensiblement, par la réunion d’une foule de circonstances qui paraissent fortuites, ou bien elles ont un

  1. Essai sur le Principe générateur.