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temps sa mâle et belle physionomie : — Dulce et decorum pro patrià mori. Ainsi mourut le 10 juin 1857, heureux d’une si belle mort, Quintin Battye, un des plus nobles cadets d’Angleterre, simple lieutenant au 56e régiment d’infanterie indigène, armée du Bengale. »

On sait maintenant dans quelles conditions fut entrepris, le 8 juin, le siège de Delhi, ce siège qui, l’on s’en souvient peut-être, était devenu un sujet de curiosité pour toute l’Europe. A chaque malle de l’Inde, la même question : — Delhi est-il pris? — Et quand on apprenait que Delhi tenait encore, agités en sens contraires, les amis de l’Angleterre tremblaient pour sa cause, ses ennemis souriaient à sa défaite probable. Ni les uns ni les autres ne se doutaient du véritable état des choses, qui était celui-ci : au lieu d’assiéger la capitale de l’islamisme, la petite armée du général Barnard était en réalité assiégée devant Delhi. Trois ou quatre mille hommes étaient venus se retrancher en face d’une ville qui a compté naguère plus de deux millions d’habitans, et qui en compte encore aujourd’hui plus de deux cent cinquante mille. Ils avaient en face d’eux, derrière d’antiques remparts remis à neuf et perfectionnés selon les données les plus savantes de l’art moderne, une force disciplinée à l’européenne d’environ vingt mille soldats, que venaient grossir chaque jour les contingens d’une révolte gagnant de proche en proche toutes les stations du Bengale. A la vue des Anglais, et sans qu’ils pussent y mettre le moindre obstacle, puisque le feu de leurs canons n’enveloppait pas plus d’un septième de l’enceinte fortifiée qu’ils avaient à réduire, ces renforts entraient ou sortaient à volonté, soit pour harceler le flanc droit du camp, soit pour aller au loin, sur ses derrières, menacer sa ligne de communications. Les cipayes disposaient d’approvisionnemens énormes, accumulés et thésaurises par les Anglais eux-mêmes, tandis que ces derniers en étaient réduits à ménager avec la plus stricte économie des munitions qui leur arrivaient de loin, et qui pouvaient d’un moment à l’autre n’arriver plus. Qu’on ajoute à ceci un campement insalubre, des chaleurs insupportables, des alertes continuelles, des nuits sans sommeil, les fièvres, le choléra, l’infection cadavérique, telle qu’à sept milles du camp on en était incommodé, et on verra qu’au lieu de demander avec une impatience si dédaigneuse: « Delhi n’est-il donc pas pris? » il eût été plus équitable de s’enquérir du sort des prétendus assiégeans.

Eux-mêmes, on le devine, se croyaient perdus. Après les premières journées d’espoir, quand ils virent plus clair dans leur situation, quand ils purent évaluer leurs chances de succès et les comparer à celles qu’ils couraient d’être complètement anéantis, ils demeurèrent en proie aux plus sombres pressentimens. On se disait bien tout haut que le parti pris était le meilleur, qu’on n’avait pu en adopter