Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

humain deviennent jeux de jeune chat. Ses héros osent tout tenter, quitte à s’arrêter en chemin; ses héroïnes osent tout penser, quitte souvent à ne rien exécuter.

Là où cet optimisme bienveillant règne surtout en maître débonnaire, c’est, comme on peut le penser, dans les œuvres de sa première jeunesse qui ont été recueillies sous le titre de Scènes et Proverbes. Je ne crois pas qu’il soit possible de pousser plus loin la casuistique indulgente. Ce sont de véritables confessions du cœur révélées par un jeune confesseur au cœur tendre, tout ému des aimables péchés qu’il a reçus en confidence, et indulgent en proportion des douces émotions qu’il a éprouvées. Ces Scènes et Proverbes sont comme les différens chapitres d’un poétique de Matrimonio écrit par un poétique Sanchez. Toutes les occasions de faute, de chute, de tentations, sont énumérées et indiquées avec une subtilité pénétrante et charmante. L’auteur vous apprend à quelle heure du soir le cœur devient le plus tendre, à quelle époque de sa vie une honnête femme ressent les atteintes du mal qu’il n’est pas besoin de nommer, comment les curiosités de l’imagination se guérissent sans avoir besoin d’être satisfaites, comment les tentations sont satisfaites par le seul secours de l’imagination. Les héros et les héroïnes de M. Feuillet pèchent en pensée et non en acte; ils s’arrêtent dès qu’ils voient l’abîme et reculent, mais non sans un secret plaisir de s’être avancés jusqu’au bord. Ici c’est une femme arrivée à l’époque de la crise, qui s’engage dans une passion fatale et s’arrête au moment précis où les désirs d’imagination, ne pouvant aller plus loin, doivent être suivis d’un acte irréparable. Là c’est une jeune femme qui prévient les infidélités de son mari en exprimant une certaine menace sur laquelle sa pensée s’arrête sérieusement une minute; ce n’a été qu’un éclair dans un ciel pur, mais un éclair précurseur d’un futur orage. Ailleurs une jeune mariée, froissée dans son orgueil et dans son amour, sépare son cœur de celui de son mari dès le jour même de ses noces, et lui déclare qu’elle ne le lui rendra que lorsque ce cœur aura eu le roman qui lui est refusé. Le roman arrive, innocent et sans catastrophes; cependant des larmes ont été versées, et il n’a tenu peut-être qu’à un incident infime qu’il eût un autre dénoûment. On dirait que tous ces personnages ont subi une inoculation morale particulière, et que, de même que la vaccine préserve de la petite vérole, on peut se préserver de toutes les pestes du cœur par une légère vaccine de désirs et de tentations.

Ces Scènes et Proverbes sont moins des comédies que des thèses morales. Les personnages manquent souvent de caractère marqué et dramatique, et en effet ce ne sont pas des personnages, mais de poétiques allégories, d’aimables incarnations de fines sensualités.