Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/741

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soldats dans l’Inde. On vous abuse en vous parlant d’une intervention quelconque dans vos croyances religieuses. Hier encore, le gouvernement rendait aux musulmans de Lahore une mosquée splendide, dont les Sikhs avaient fait un entrepôt. Voyez où sont vos intérêts. Quant à moi, je vous conseille de rester fidèles et de me livrer les traîtres qui veulent vous pousser à l’insurrection. »

L’habileté de ce langage est dans son appropriation parfaite aux circonstances et aux dispositions de ceux à qui s’adresse l’orateur. Il est intelligible pour tous; il provoque les réflexions les plus simples; il met en jeu les idées qu’il sait dominantes; il exploite surtout la jalousie, la rivalité des soldats brahmines par rapport aux Sikhs, dont ils se savent exécrés. L’antagonisme de race est au moins aussi fort entre les Afghans et les musulmans des pays frontières. On ne néglige rien pour l’augmenter. Ici, on choisit dans plusieurs régimens mixtes tous les soldats sikhs pour en former un nouveau corps; ailleurs, on élimine avec soin d’un corps irrégulier du Pendjab tous les pourbiahs qui s’y sont glissés. Ceci est la politique des temps de crise. Plus tard, on fera probablement tout le contraire. On mélangera les races dans chaque bataillon, dans chaque compagnie, afin d’y jeter des élémens qui se neutralisent. En attendant, on recrute activement dans les populations les plus hostiles à l’Hindostan, on augmente les corps irréguliers du Pendjab; on remplit ainsi les vides que laissent dans les forces disponibles et le départ des soldats européens qu’on dirige sur Delhi et le désarmement des régimens cipayes dont on a lieu de se méfier.


III.

Malgré ces précautions, il est un point vers lequel tous les regards se sont toujours tournés avec crainte : c’est Peshawur, à l’extrême pointe nord-ouest, à la dernière limite du côté de Gandahar et de Caboul. Qu’arrivera-t-il si ce pays se lève, si les Afghans, peuple montagnard et guerrier, veulent profiter de l’heure fatale, si Dost-Mohammed, entraîné par l’élan populaire et les conseils hostiles des grands de sa cour, donne le signal de l’attaque? A Peshawur, et dans les forteresses qui lui font au nord un rempart presque inexpugnable, — Murdân, Abozaie, Shubkudr, Michnie, Barra, — il n’y a guère que des régimens du Bengale, tous plus ou moins infectés de la contagion séditieuse. Le 55e, envoyé à Murdân pour y remplacer les guides, s’est récrié sur ce qu’on le conduisait la « pour l’y tenir en prison. » Des officiers anglais ont été menacés de mort par des officiers indigènes. En certaines localités, on est obligé de tenir les canons sous bonne garde, et la nuit comme le