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jour et le nombre des contingens arrivés, et les dispositions qu’ils manifestaient, et les projets d’attaque formés par chacun d’eux, car c’était, chez les chefs des cipayes, une invariable coutume que celle d’envoyer à l’assaut du camp anglais chacune des brigades que l’insurrection amenait dans la ville sainte. Le lieutenant Hodson, commandant les irréguliers à cheval, avait su établir avec la ville de tels rapports, que les séances mêmes du conseil du roi n’avaient guère de secrets pour lui. On connut ainsi le chiffre des taxes forcées que le roi de Delhi avait à frapper sur ses sujets pour satisfaire aux exigences multipliées des soldats de Delhi et de tous les petits rajahs qui, du dehors, offraient leurs services. On savait les mésintelligences de l’état-major ennemi, les querelles du général Buckht-Khan[1] avec Mirza-Mogul, le fils du roi, les prétentions rivales qu’élevaient tour à tour, à mesure qu’ils arrivaient, les chefs des contingens nouveaux contre l’autorité de ce personnage trop prépondérant. L’indiscipline des cipayes, déjà notable au début de l’insurrection, paralysait de plus en plus la force immense dont aurait disposé un général capable d’établir sur eux une véritable autorité; mais ils n’obéissaient réellement à personne, se battaient à leur guise, et désertaient en foule, quitte à revenir ensuite, quand circulait quelque bruit de nature à effaroucher leur courage, par exemple l’arrivée du terrible Neill avec un régiment de « démons», ou de Nicholson avec un corps de « cannibales. » Les agens de Hodson, entre autres un ancien moonshee (interprète-écrivain) de sir Henry Lawrence, nommé Rajjub-Ali, étaient chargés de répandre ces bruits sinistres et s’en acquittaient à merveille. Rujjub-Ali avait entrepris d’ailleurs et mené à bien une négociation des plus importantes. Au moyen d’une correspondance assez habilement rédigée pour ne compromettre que celui à qui ses lettres étaient adressées, il était parvenu à rendre suspect aux cipayes, et par suite-à rallier secrètement aux Anglais, un des brahmines les plus fanatiques, grand protégé du roi de Delhi. Hakim-Ashanoollah-Khan (ainsi se nom-

  1. Buckht-Khan est le seul des chefs cipayes qui ait montré, pendant le siège, quelque indice de connaissances militaires. C’était un ex-soubadar (capitaine en second) dans un des régimens de la compagnie. Voici le portrait que trace de lui en quelques lignes un des chefs sous les ordres desquels il avait servi. « Soixante ans d’âge; au service de la compagnie pendant quarante ans; hauteur, cinq pieds dix pouces (anglais); tour de taille, quarante-quatre pouces; famille d’extraction hindoue, mais convertie par l’espoir de quelque don territorial; très mauvais cavalier à raison de son gros ventre et de ses cuisses trop rondes, du reste intelligent et bon instructeur. »
    Les autres généraux des insurgés, Ghous-Khan, Sirdar-Singh, etc., ne nous ont transmis leurs noms que grâce aux discussions qu’ils avaient avec Buckht-Khan. Sirdar-Singh, par exemple, lui refusait allégeance « parce qu’il l’avait tenu deux jours entiers à la pluie. »