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mait le personnage) devint, dès la fin de juillet, un précieux intermédiaire par lequel, dans les derniers temps du siège, passèrent de singulières communications, fort encourageantes pour les Anglais. On apprit par lui le désespoir toujours croissant du vieux monarque, qui, voyant son autorité méprisée, son trésor à sec, ses demandes d’impôts ou d’emprunts ironiquement déclinées, commençait à vouloir abdiquer. Conseils privés sur conseils privés, durbars sur durbars n’amenaient à aucune détermination sérieuse et utile, et le pauvre roi qui, dans les premiers temps, rimait des vers sur la conquête de Londres, promise à Nuffer[1], en était venu à s’arracher la barbe en maudissant les embarras où on l’avait jeté. Un jour qu’il voulut en personne haranguer son armée, voici quelles paroles sublimes sortirent de son cœur ulcéré : « Ce n’est pas moi, n’est-ce pas, qui vous ai réunis? Allez-vous-en donc aussitôt que bon vous semblera! »

À ce moment (seconde quinzaine d’août), les temps les plus critiques étaient passés pour l’armée anglaise. Elle avait traversé la saison des pluies sans trop de désastres ; le choléra suspendait ses ravages, qui reprirent plus tard, et les derniers secours du Pendjab, arrivés le 14 août, six jours après Nicholson, avaient enfin donné l’espoir d’un dénoûment possible à des complications d’abord sans issue. A peine investi de l’autorité, le général Wilson avait mesuré sa situation d’un coup d’œil. Les provinces du nord-ouest, entièrement insurgées, ne pouvaient lui envoyer un seul homme; c’eût été folie que de compter sur l’assistance de l’Inde méridionale, où on retenait immobiles deux armées que la plus légère impulsion pouvait jeter du côté de la révolte. Le nord seul restait, et sir John Lawrence seul pouvait, s’il se sentait en état de pourvoir par ailleurs à la sûreté du pays dont il était responsable, fournir à l’armée de Delhi les renforts sans lesquels elle était inévitablement perdue, et l’Inde avec elle. Mettant de côté tout vain amour-propre, le général Wilson s’adressa directement au commissaire en chef du Pendjab, qui déjà, dès les premiers jours du siège, s’était laissé enlever, au profit de l’armée de Delhi, un de ses corps d’élite, celui des guides. Dès qu’il se vit mis en demeure de concourir pour sa part à l’opération décisive de cette guerre si menaçante, sir John Lawrence s’y consacra tout entier, subordonnant avec un dévouement qu’on ne saurait trop exalter sa propre mission à celle d’un de ses collègues. Il semblait avoir pressenti cette situation, car, pour n’être point pris au dépourvu, à mesure que le désarmement des cipayes se faisait

  1. Nuffer, nom poétique qu’il s’était décerné. Voici le texte des vers auxquels nous faisons allusion: «Moi, Nuffer, je prendrai Londres. — En effet, quelle distance la sépare de l’Hindostan? »