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ficultés matérielles de la vie, bien que sur ce dernier point peut-être il ne soit pas impossible de secourir leurs talens en les utilisant presque au début[1]. Ceci d’ailleurs est une question que nous n’avons pas à examiner, parce qu’elle ne se rattache qu’indirectement à notre sujet. Le fait essentiel à établir, c’est l’opportunité d’une direction en quelque manière officielle. À défaut de grands travaux collectifs comme ceux que les deux derniers siècles ont vus naître et qui ne seraient plus en rapport avec nos besoins et nos mœurs, à défaut de ces vastes entreprises de gravure qui occupaient autrefois, sous l’autorité d’un maître, toute une génération d’artistes, — les principes que l’on professerait à l’Ecole des Beaux-Arts prémuniraient au moins les élèves contre les séductions du dehors ; ils pourraient servir de correctif aux exemples vicieux, aux dangereuses leçons que donnent ailleurs l’industrie mécanique et l’art facile. L’on renouerait ainsi, à quelques égards, la tradition du XVIIe siècle, de cet âge d’or de la gravure en France, où les maîtres-graveurs, établis aux Gobelins, vivaient entourés d’élèves auxquels ils transmettaient, en même temps que leurs secrets techniques, leur foi sévère et leur doctrine. Nous n’avons aujourd’hui, je le sais, ni des Edelinck, ni des Audran ; mais la France compte encore des artistes à l’expérience desquels on peut se fier, des maîtres qui, en combinant leurs efforts, seraient en mesure à la fois d’affermir dans le droit chemin la marche de l’école, de rappeler à celle-ci les exemples qui l’obligent, et d’éclairer le public sur les faux progrès qui l’abusent.

Le salut de la gravure semblerait aussi mieux assuré, si les peintres consentaient plus souvent à prendre non pas le burin, dont le maniement exige un apprentissage spécial, mais la pointe des gra-

  1. Un établissement existe, — la Chalcographie du musée du Louvre, — dont l’organisation se prêterait assez aisément, à ce qu’il semble, à une réforme ou plutôt à des développemens en ce sens. On sait que cet établissement, fondé par Louis XIV, est le dépôt où se conservent les planches gravées par ordre et aux frais des souverains qui se sont succédé sur le trône de France depuis le XVIIe siècle. Augmenté, au temps de la révolution, des cuivres qui avaient appartenu à l’ancienne Académie de peinture, le fonds de la Chalcographie a reçu peu d’accroissemens nouveaux sous les trois derniers règnes. Aujourd’hui quelques graveurs, choisis entre les plus expérimentés, ont été chargés de l’enrichir de leurs œuvres. Rien de mieux : toutefois dans cette collection, qui résume l’histoire de la gravure en France, ne saurait-on aussi donner place de temps à autre aux essais des jeunes graveurs ? Les élèves qui se seraient le plus distingués à l’École des Beaux-Arts ne pourraient-ils recevoir, à titre de récompense, la commande de quelque travail dont l’importance serait proportionnée d’ailleurs aux premiers témoignages de leur talent ? — En appelant sur cette question l’attention de qui de droit, nous ne prétendons nullement exposer un projet formel. Nous voulons seulement indiquer une voie qui nous semble tout ouverte, un champ de travail qu’on féconderait peut-être plus facilement qu’aucun autre.