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autre choisir au surplus sans être inconséquent ? Pourquoi donc s’agiter autant lorsque tout repose ? Pourquoi se précipiter à plaisir dans les nouveautés du lendemain, tandis que la vie universelle coule à pleins bords, si paisiblement et d’un cours presque insensible, dans le lit régulier des habitudes ?

Il est d’usage, mon ami, de mal parler des habitudes, sans doute parce qu’on part d’une idée fausse pour les juger. Pour moi, je n’ai jamais compris qu’on mît son amour-propre à s’en garantir ou bien ses efforts à s’en débarrasser, ni qu’on se crût moins libre pour avoir une méthode, ni qu’on donnât le nom d’esclavage à ce qui est une loi divine, ni enfin qu’on s’imaginât être beaucoup plus maître de son chemin parce qu’on n’a pas laissé derrière soi de point de repère. On s’abuse d’abord, et l’on se calomnie. On s’abuse, parce que, sans habitudes, un jour ne tiendrait plus à l’autre, et les souvenirs n’auraient plus d’attache, pas puis qu’un chapelet qui n’a pas de fil. On se calomnie, car heureusement un homme est impossible à supposer sans habitudes. Celui qui dit n’en pas avoir est tout simplement un esprit à mémoire courte, qui oublie ce qu’il a fait, pensé, senti la veille, pour n’en avoir pas tenu registre, ou un ingrat qui fait fi des jours qu’il a vécus et les abandonne à l’oubli, n’estimant pas que ce soit un trésor à conserver.

Si tu m’en crois, adorons les habitudes ; ce n’est pas autre chose que la conscience de notre être déployée derrière nous dans le sens de l’espace et de la durée. Faisons comme le petit Poucet, qui sema des cailloux depuis la porte de sa maison jusqu’à la forêt ; marquons nos traces par des habitudes, servons-nous-en pour allonger notre existence de toute la portée de nos souvenirs, qu’il faudrait tâcher de rendre excellens. Transportons cette existence de droite et de gauche, si la destinée le commande ; mais qu’elle ne soit au fond qu’une longue identité de nous-mêmes ! C’est le moyen de nous retrouver partout et de ne pas perdre en chemin le plus utile et le plus précieux du bagage : je veux parler du sentiment de ce que nous sommes.

Quel doux pays -que celui qui peruiet avec régularité des loisirs pareils ! Pas un nuage et pas un souffle, c’est-à-dire que la paix est dans le ciel. Le corps se baigne dans une atmosphère que rien n’agite, et dont la température devient insensible à force d’être égale. De six heures, du matin à six heures du soir, le soleil traverse imperturbablement une étendue sans tache, dont la vraie couleur est l’azur. Il descend dans un ciel clair et disparaît, ne laissant après lui, pour indiquer la porte du couchant, qu’un point vermeil pareil à une feuille de rose. Puis une faible humidité se forme au pied des coteaux, et répand une brume légère sur les plans éloignés de l’horizon, comme afin de ménager un passage harmo-