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critique littéraire, qui se trouvent comprises dans une étude d’Isocrate, et qui par elles seules paraîtraient déjà intéressantes. Elles se présentent d’ailleurs comme encadrées au milieu de souvenirs et de noms qui sont pour toujours en possession de toucher les hommes. Ce précepteur d’Athènes est un disciple de Socrate et un ami de Platon, et, par sa longue vie, un contemporain de Démosthène; leurs deux voix, fort différentes et trop peu d’accord, ont été entendues ensemble et à l’occasion des mêmes alarmes. Comme maître en discours, Isocrate paraît suivi des grands orateurs de l’époque macédonienne qu’il a tous formés, et, à deux siècles et demi au-delà de cette date, son école a poussé comme un rejeton magnifique dans l’éloquence de Cicéron; la gloire de Cicéron et de tout ce qu’il y a jamais eu de cicéroniens fait en quelque sorte partie de la sienne. N’en est-ce pas assez pour qu’on espère pouvoir retenir quelques momens l’attention du public, si distrait qu’il soit par d’autres pensées, sur cette renommée peu populaire?


I.

La Grèce et Athènes exerçaient avec amour, entre tous les arts, l’art de la parole. Elles étaient pleines d’hommes qui en enseignaient les secrets et en étalaient les merveilles : on les qualifiait d’artistes en discours; mais, parmi ces maîtres, la Grèce et Athènes n’en ont pas connu de plus parfait qu’Isocrate. Sa réputation est celle du premier des rhéteurs.

Lui-même néanmoins, tout fier qu’il est de son habile éloquence, il a de tout autres prétentions. Il se compte parmi les philosophes, et il appelle l’art qu’il professe philosophie. Est-il bien en effet un philosophe? Il est du moins sans contestation un moraliste; mais ce serait prendre le change que de discuter ici d’une manière abstraite la définition de la philosophie, et de rechercher si, en suivant avec Cicéron l’art de la parole jusqu’à sa source, on le voit se confondre avec le travail de la pensée. C’est historiquement qu’il faut se rendre compte de cette prétention d’Isocrate, en examinant non pas ce que c’est que philosophie en général, mais ce que c’était dans ce temps-là qu’être philosophe à Athènes. On reconnaît que l’école socratique y formait alors un parti, je dirai presque une église, car la mort de Socrate l’avait consacrée; elle avait une foi et un culte. En religion, en morale, en politique, les socratiques étaient en général animés d’un même esprit. Leurs croyances étaient plus raisonnées que celles du grand nombre, leurs mœurs étaient plus sévères; dans ce qui regarde la cité, leurs idées étaient également opposées à celles de la foule. Isocrate pensait comme Platon,