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Voilà le langage que tenait Isocrate dans un discours écrit à l’âge de quatre-vingts ans. Il n’en faut pas davantage pour justifier les complaisances de Platon et les promesses flatteuses qu’il place dans la bouche de son maître en faveur du jeune homme qui devait parler ainsi dans sa vieillesse. C’est bien là un digne élève de Socrate, et, pour s’en tenir aux paroles mêmes de Platon, qui l’honorent dans une si parfaite mesure, il y a de la philosophie en lui; mais on voit bien maintenant que la philosophie d’Isocrate n’est pas une sagesse abstraite ou banale, indépendante des événemens; elle est personnelle et vivante, elle est un ensemble d’opinions et de sentimens qui se rapportent à tout ce qui occupait alors les esprits, à tout ce qui intéressait Athènes. Il y a une pensée dominante qui conduit son travail et sa vie : quelle est cette pensée? qu’est-ce qu’il aime et qu’est-ce qu’il condamne? qu’est-ce qu’il soutient et qu’est-ce qu’il combat? Par ces questions nous voilà jetés au cœur de l’histoire.

Les idées d’Isocrate sont celles de l’école socratique, avec les nuances particulières de son caractère et de son esprit. Or la politique des socratiques à Athènes, comme en France la philosophie du XVIIIe siècle, était en opposition avec l’ordre établi, mais avec cette différence considérable que la philosophie française s’appuyait sur l’esprit de la démocratie, tandis que la philosophie athénienne était anti-démocratique, comme paraît déjà l’avoir été la philosophie pythagoricienne, dont elle recueillait les traditions.

C’est que les philosophes, impatiens du mal et ne pouvant manquer de l’apercevoir autour d’eux, ne sachant où trouver le mieux qu’ils conçoivent, et poussés pourtant, par un instinct naturel, à le placer quelque part, l’attachent volontiers à ce qui se présente comme le contraire de ce qu’ils connaissent. Les pythagoriciens voyaient la multitude régner, par ses chefs populaires ou tyrans, dans les cités d’Italie; les socratiques la voyaient régner par elle-même dans Athènes. Les uns et les autres désavouèrent également la démocratie, ou du moins ce qu’on appelait de ce nom; car, on le sait, il n’y avait là qu’une apparence, et le vrai malheur d’Athènes, non plus que d’aucune cité antique, n’a pas été d’aller jusqu’à la démocratie, mais plutôt de n’y pas atteindre. On ne voit nulle part, dans le monde grec, un peuple qui ne dépende que de lui-même, mais des villes sujettes d’une autre ville, et dans la ville maîtresse une population d’esclaves sous une plèbe privilégiée. Pour qui n’était pas citoyen, il n’y avait pas de droit proprement dit. Si c’était une grande nouveauté dans la physique que de briser la voûte de cette sphère, d’un si court rayon, où on enfermait l’univers, comme l’osèrent Démocrite et Épicure, ce ne fut pas une tentative moins