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nieux entre la lumière et l’ombre et d’accoutumer les yeux à la nuit par la douceur des couleurs grises. Alors les étoiles s’allument au-dessus de la campagne blêmissante et de ce grand pays devenu vague. D’abord on les compte ; bientôt le ciel en est illuminé. La nuit s’éclaire à mesure que toute trace du soleil disparaît, et le jour tout à fait clos est remplacé seulement par des demi-ténèbres. Cependant la mer dort, comme jamais je ne l’avais vue dormir, d’un sommeil que depuis un mois rien n’a troublé, toujours limpide et plate, assoupie, à peine rayée par le rare passage des navires, avec la transparence, l’éclat et l’immobilité d’un miroir.

Pourtant ce n’est plus l’été ; c’est encore moins l’hiver. On voit peu d’insectes, on n’entend pas les bourdonnemens du printemps. Les mauves sauvages sont courtes, et le gazon reverdit sans s’élever. D’ailleurs ce grand calme n’appartient qu’aux saisons qui se reposent. Dans nos campagnes de France, à l’automne, quand vient le moment des calmes plats, nos paysans disent que le temps s’écoute, métaphore ingénue qui rend l’idée de je ne sais quelle méditation vague, et fait comprendre ce qu’il y a de recueilli dans un pareil silence. Nous ne sommes plus dans la jeunesse de l’année, on le sent. Quelque chose a souffert qui se rétablit, et ce repos succède à des accès violons. On dirait une convalescence sereine après l’accablement maladif d’un long été.

Il est neuf heures du matin ; je suis dans un endroit charmant, à mi-pente des collines et en vue de la mer, cadre grandiose dont ce paysage maritime ne peut se passer sans perdre beaucoup de son effet, de son caractère et de son étendue. Le lieu est désert, quoique entouré de maisons de plaisance et de vergers ; la solitude y règne comme dans toutes les campagnes de ce pays. Pour seul bruit, j’entends des norias dont le moulin tourne et fait ruisseler l’eau dans les auges, et le roulement presque continu des corricolos courant sur la route de Mustapha. Devant moi, j’ai deux maisons turques se groupant à des plans différens poui- composer un joli tableau sans aucun style, mais d’une agréable tournure orientale. J’y vois l’accompagnement obligé de toute construction turque : chacune est flanquée de cyprès. Les maisons sont d’un blanc à éblouir et coupées d’ombres fines, rayées comme au burin ; les cyprès ne sont ni verts ni roux ; on ne se tromperait guère en les voyant absolument noirs. Cette tache extraordinaire de vigueur s’enlève à l’emporte-pièce sur un ciel vif, et découpe avec une précision dure à l’œil la fine nervure de leurs rameaux, leur feuillage compacte et leur branchage singulier en forme de candélabres. Des pentes boisées descendent en moutonnant vers le bas de la vallée, et l’extrémité des coteaux enferme dans des lignes souples et un peu resserrées cet élégant morceau de paysage intime. Tout ceci est peu