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lui conteste aujourd’hui la première place? Qui doute qu’elle ait été ce que la Grèce a eu de plus grand? Et, loin qu’elle s’efface devant Sparte, ne peut-on pas se demander si sa supériorité ne subsiste pas en face même de Rome triomphante? Je ne reproche pas aux censeurs leur sévérité pour les fautes : l’amour peut être sévère, mais il n’est pas ironique ou méprisant. C’est l’honneur de Thucydide, en qui l’âme égalait l’esprit, d’avoir su donner des leçons à sa patrie en lui laissant sa dignité tout entière, de l’avoir consolée et glorifiée jusqu’au milieu de ses revers sans la tromper, sans l’enivrer, et simplement en lui parlant le langage de l’avenir, que sa raison et son cœur lui faisaient entendre par avance. Je voudrais trouver toujours chez les socratiques la même élévation d’idées et la même générosité de sentimens.

Quand ce n’était pas chez l’étranger qu’ils cherchaient des autorités pour leur politique aristocratique, c’était dans le passé, qu’il est si facile d’admirer de loin. L’abondance des témoignages historiques au temps où nous sommes rend parmi nous cette illusion moins aisée à ceux qui lisent; mais l’histoire et la connaissance de l’histoire se réduisaient à bien peu de chose à l’époque dont nous parlons. Cependant Athènes avait changé, non pas tant qu’on se le figurait peut-être, mais elle avait changé, et ce changement, qui était un progrès, on l’appelait une décadence. Dans l’impossibilité reconnue d’arracher à la démocratie le présent et l’avenir, on se rejetait en arrière pour essayer de lui échapper; on accoutumait les peuples à cette idée, qu’ils dégénèrent à mesure qu’ils se développent; on leur ôtait ainsi toute foi en eux-mêmes; on arrivait à leur faire concevoir comme la parfaite sagesse de ne plus ni vouloir ni agir, et de suspendre, d’étouffer partout le mouvement et la vie.

Le mépris de la démocratie, c’est au fond le mépris de l’humanité. C’est un juste dédain, je l’avoue, que celui qu’inspirent à une raison droite et à une âme élevée les excès de sottise ou de bassesse dont les hommes peuvent se montrer capables : déplorable suite des misères trop souvent attachées à la condition humaine, et la pire sans doute de ces misères; mais ce sentiment n’est pur qu’autant qu’il demeure exempt de deux vices, le désespoir et l’orgueil. Il faut conserver le respect des bons instincts de la nature humaine avec le dégoût des mauvais, et ne pas oublier que ce qui s’est fait, après tout, de bien ou de beau dans le monde s’est fait par les hommes, ainsi que le mal; que le bien même est, plus que le mal, leur ouvrage, puisqu’ils n’ont pu le faire qu’en s’efforçant et en luttant, tandis que pour le mal ils n’ont eu qu’à se laisser aller aux forces de toute espèce qui les entraînent; qu’enfin cette somme du bien, si pitoyablement petite qu’elle soit, s’augmente pourtant avec les siè-