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et la pudeur sous des aspects étranges. Le mélange de l’abstraction et de l’imagination, le sentiment religieux sous l’attrait des sens, la transformation de la vertu même en beauté par un procédé logique dont la subtilité fait hésiter l’esprit, qui ne sait s’il est dupe d’un jeu de mots ou s’il découvre une vérité, tout cela fait penser à Platon et au Banquet; mais le style aussi fait souvenir de ce modèle, et en paraît inspiré.

La phrase d’Isocrate se recommande plus encore cependant par la période que par l’image; elle est ce qui tient le plus de place dans son art, et ce qui faisait la principale nouveauté de son talent. La période est née de ce que les rhétoriques appellent le développement, car je ne veux pas me servir du mot d’amplification, qui a été déshonoré. Le développement est aussi fécond que l’amplification est stérile; il ne multiplie pas seulement les mots, il ouvre une idée et lui fait produire tout ce qu’elle contient en elle, et qui ne paraissait pas d’abord. Seulement cette abondance même n’apporterait que confusion, si elle n’était pas ordonnée; il faut que les détails se distribuent en groupes distincts, dont chacun ait comme un centre vers lequel l’esprit soit ramené par la marche même de la phrase. Voilà ce que fait la période. Le mouvement général de la pensée dans le discours tout entier se compose de la suite des mouvemens moins étendus qu’elle accomplit successivement dans l’enceinte de chaque période, comme la terre achève une révolution sur elle-même à chaque pas qu’elle fait dans l’orbite qu’elle décrit autour du soleil. Le nombre est inséparable de la période; naturellement tout mouvement large se cadence; la parole solennelle devient d’elle-même un chant. Et comme Isocrate a passé tous les orateurs dans l’éloquence d’apparat, il est aussi le premier par le nombre, et c’est toujours à lui qu’on en rapporte l’honneur. Sa phrase rassemble dans la plus heureuse harmonie la magnificence du mètre poétique et le mouvement libre et naturel du discours. On pourrait lui appliquer les expressions célèbres de Montaigne sur la « sentence pressée aux pieds nombreux de la poésie. » Telle période d’Isocrate se faisait applaudir comme de beaux vers, et se gravait de même dans les mémoires; mais ni les beaux vers, ni même les belles périodes ne peuvent véritablement se traduire, et je ne puis qu’indiquer, en exemple de ces développemens où le discours est comme une belle rivière qui coule à pleins bords, le passage du Discours panégyrique qui embrasse la seconde guerre médique, morceau triomphant, qui éclipsa absolument, quand il parut, le Discours funèbre, jusque-là fameux, de Lysias. Ce sont là des phrases dont les Athéniens s’enivraient, non pas seulement, comme disait Socrate, parce qu’ils y étaient loués, mais parce qu’elles sont magnifiques. L’auteur, eni-