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« Écoute, c’est honteux! Lève-toi; il en est temps! Tu sais que le moment est propice. Tout homme chez qui le sentiment du devoir ne s’est pas éteint, dont le cœur est resté incorruptible et droit, qui est doué de talent, de force, d’intelligence, ne doit pas demeurer dans l’inaction….. L’orage se tait ; les cieux luttent d’éclat avec la vague profonde, et un vent paresseux gonfle à peine les voiles. — Le navire court avec grâce, majestueusement, et le cœur des passagers est aussi tranquille que si leurs pieds posaient sur la terre ferme... Mais le tonnerre a retenti; la tempête mugit, rompt les agrès, incline les mâts. Ce n’est plus le moment de jouer aux échecs, ce n’est plus le temps de tourner des chansons!... Le chien même aboie avec rage contre le vent; il ne pense pas à autre chose….. Et toi, poète, que vas-tu faire ? Est-il possible que tu t’enfermes dans une cabine écartée? Te mettrais-tu à charmer des sons de ta lyre inspirée les oreilles des passagers insoucians pour étouffer le fracas de la tempête ?.....

« Je veux bien admettre que tu sois à ta place ; mais ton pays, où chacun est dévoué à ses propres intérêts, s’en trouvera-t-il mieux? Les hommes à qui la patrie est chère se comptent par milliers. Que Dieu les bénisse!... Mais les autres? leur rôle est bien misérable, leur existence est vide. Les uns sont oppresseurs et voleurs, les autres sont des chanteurs mélodieux; les autres encore les autres sont des sages; leur destinée en ce monde est la conversation. Remplis de prudence pour eux-mêmes, ils se tiennent tranquilles, disant : Les hommes sont incorrigibles, nous ne voulons pas nous perdre inutilement. Ces esprits orgueilleux cachent habilement leurs pensées égoïstes. Qui que tu sois, frère, ne crois pas à cette logique méprisable, crains de partager le sort de ces malheureux ; ils sont riches en paroles, pauvres en actions. Ne passe point dans le camp des hommes inoffensifs, lorsque tu peux être utile!.... Un fils ne peut voir tranquillement la douleur de sa mère; celui-là est un citoyen indigne qui est indifférent à sa patrie. Rien ne l’excuse….. Sacrifie-toi pour l’honneur de ton pays, pour tes convictions; va et meurs sans regret... Tu ne mourras pas vainement; toute action est sainte lorsqu’elle coûte du sang…..

« N’oublie pas que tu es poète ! Élu du ciel, toi qui te charges de proclamer les vérités éternelles, ne crois pas que celui qui manque de pain est indigne de tes accens inspirés; ne crois pas qu’il y ait des hommes tombés à jamais. Il n’est point d’âme humaine qui soit morte devant Dieu, et les sanglots d’un cœur croyant arrivent toujours jusqu’à lui! Sois citoyen! Tout en restant dévoué à l’art, vis pour le bien de ton prochain, soumets ton génie au sentiment d’une fraternité universelle, et si tu es richement doué, ne cherche pas trop à le prouver; les rayons vivifians des trésors que tu possèdes reluiront d’eux-mêmes dans ton sein. Regarde l’artisan laborieux, il brise en mille morceaux une pierre résistante, et sous son marteau la flamme naît et brille d’elle-même »


Le poète a-t-il dédaigné les avis de ce conseiller austère, qui n’est autre que sa propre conscience? Son volume même va répondre. Le jeune écrivain s’est mis bravement à l’œuvre, et il nous sera facile de prouver qu’il a dignement rempli sa tâche. Aucun ordre n’a été suivi dans la distribution des morceaux qui suivent cette préface poé-