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Il faut seulement avec sincérité, avec une foi parfaite, avec un vrai repentir de ses fautes, dans la solitude de son cœur, prier le Grand-Immortel. »


Ainsi donc, non-seulement la nuit avait porté conseil au voyageur, mais encore il s’éveillait plus instruit qu’il ne l’était en s’endormant. Voilà une de ces merveilles dont on ne voit des exemples que dans l’extrême Asie ! Cependant un doute sérieux tenait en suspens l’âme du pieux Pao-ly. Obéirait-il aux paroles tracées la veille sur le sable, devant l’image et pour ainsi dire par la main du dieu, paroles solennelles et qui semblaient le convier à suivre son premier dessein d’embrasser la vie religieuse pour prier toujours ? Prendrait-il pour règle de conduite les autres paroles écrites d’une façon mystérieuse aussi, et qui l’invitaient visiblement à rentrer sous son toit pour y pratiquer les vertus de son état et accomplir au milieu du monde les actes de sa religion ? Il flottait incertain entre ces deux partis, ne sachant auquel s’arrêter. Était-ce une inspiration d’en haut ? était-ce simplement une pensée d’orgueil qui le poussait à tendre vers la perfection ?

— Combien il se glisse parfois de vanité secrète et de recherche de soi-même dans nos meilleures pensées ! se disait Pao-ly. Je suis heureux chez moi ; n’est-ce pas tenter le sort que de vouloir à tout prix atteindre à un plus grand bonheur en ce monde ? — Peu à peu il reporta ses regards vers la terre ; il vint à songer à sa femme si tendre et si soumise, à ses enfans si respectueux et si gentils, à ses champs couverts de belles moissons, à sa maisonnette si bien plantée au rebord d’une rivière. Il avait coulé des jours tranquilles dans ce domaine héréditaire que ses aïeux avaient cultivé de père en fils, où ils avaient fermé les yeux. Quoique petit buveur, il savourait volontiers un verre de vieux vin, et toujours au fond du flacon il retrouvait la gaieté et la liberté d’esprit. Ces pensées amenèrent une larme dans les yeux de Pao-ly ; il soupira et résolut de regagner sa maison en répétant tout bas les sept stances qui commencent par ces mots : « A quoi bon….. » Pour cette fois, disait-il, c’est une affaire manquée ; à une prochaine existence, si je renais sous la forme humaine, je saurai mieux m’y prendre.

À ce moment, un profond sommeil s’empara de ses sens ; il lui semblait revêtir quelque chose du vieil homme qu’il avait dépouillé en voguant vers la montagne sacrée. Sans se trouver plus alourdi, il se sentit comme doucement réchauffé. Après avoir dormi longtemps, Pao-ly s’éveilla tout de bon, fort surpris de se voir logé dans une hôtellerie située aux bords du lac Taï-hou. Il ne put jamais se rappeler quelle route il avait suivie pour atteindre la montagne habitée par les immortels, ni comment il était revenu aux lieux plus