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chez un petit-neveu du vieux Fritz, on le rencontrait pensif et mélancolique par les allées solitaires du Thiergarten, sa taille haute et mince étroitement serrée dans son uniforme bleu de ciel d’officier de dragons. Bientôt il partit pour l’Inde. Ce voyage, dont il a écrit l’intéressante relation, devait lui coûter la vie. Sa mort étonna tout le monde, lui excepté, qui, dit-on, la pressentait : triste et regrettable destinée, existence perdue en des soins qui contrarièrent son développement!

On raconte que la reine Christine de Suède, pour tromper l’ennui des longues soirées de cour, s’amusait à parsemer de fleurs les écussons de sa noblesse, donnant un lis à cette famille, une ronce, un œillet, un brin de lierre à celle-là, ce qui était en somme un passe-temps beaucoup moins répréhensible que celui dont elle usa plus tard à l’endroit de l’infortuné Monaldeschi. Eh bien! l’histoire du jeune prince Waldemar nous rappelle involontairement cette rose et ce lis. Il fut lui, dans l’écusson royal de la maison de Prusse, cette fleur égarée parmi les lions, les aigles et les épées. Si dans louis-Ferdinand la Prusse avait eu son Bayard, elle eut son prince Hamlet dans ce pâle et rêveur Waldemar. Le père lui aussi, le prince Guillaume, oncle du roi, mourut à quelques années de là; c’était un bon, digne et excellent homme, plein d’intelligence et de quiétude, qui ne porta jamais ombrage à personne, et à qui personne jamais ne fit de mal. Le prince Waldemar avait pour frère le prince Adalbert, aujourd’hui général, nature tout opposée, tempérament sain, robuste, enjoué, et pour sœur la reine actuelle de Bavière qui, non encore mariée à cette époque, était une des étoiles de la cour. M. de Sternberg ne ménage point Tieck dans ses mémoires, et c’est un tort, car il lui doit beaucoup, et l’influence du Boccace allemand, comme il se plaît à l’appeler avec un certain ton de persiflage, a fort aidé à la formation de son style et de son talent. C’était du reste une tactique dont abusait très volontiers M. Heine à l’égard de ses anciens amis les romantiques. S’agissait-il d’Hoffmann, d’Arnim, de Brentano, de Novalis, nul mieux que l’auteur des Reisebilder ne s’entendait à les décréditer sur la place. Comme personne, il connaissait leurs travers et leurs ridicules; ce qu’il connaissait non moins parfaitement, c’étaient leurs qualités originales, leurs ressources inventives, leurs trésors de génie enfouis au loin. Or de ces secrets-là, il ne parlait guère, aimant sans doute mieux les garder pour lui que d’en faire part au public français, lequel avait le droit d’ignorer bien des choses. M. Heine n’aimait point qu’on vît clair dans ses affaires, et il ne nous a jamais pardonné, quant à nous, de l’avoir appelé un romantique défroqué. Nous craignons un peu que M. de Sternberg ne répudie également son origine, et ce serait dommage, car l’auteur de Lessing, des Contes bruns et même de